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CHRISTOPHE LOYER Esquisse de lumière Prix lacritique.org / Réalités Nouvelles 2018

Auteur d’une œuvre qui interroge le regard, la pensée et l’inconnu dans des domaines divers, sculpture, vidéo, photographie, écriture, musique, Christophe Loyer propose pour l’édition 2018 du Salon des Réalités nouvelles trois esquisses de lumière pour lesquelles il a obtenu le prix de lacritique.org.

Est-ce que la lumière révèle la pensée, et l’inverse ? Que crée la lumière ? Quelles en sont les formes ? Telles semblent être les questions en images de Christophe Loyer. Entre banalité et tautologie, le débat pourrait paraître ne plus relever que d’une histoire de la photographie, explorée tant dans l’imaginaire et la théorie de la représentation que dans la pratique. Christophe Loyer montre que la démarche est loin d’avoir épuisé les entremêlements philosophiques et poétiques de la lumière et de la pensée. Composant avec les différentes métaphores et déclinaisons, physiques et chimiques, de clarté et d’ombre, il travaille les frontières du visible et du pensable, et leur franchissement.
Les trois images de Christophe Loyer ne forment un triptyque que pour celui qui les regarde dans le moment précis de l’accrochage du Salon. Chacune est unique et se donne aussi à voir dans son unicité d’esquisse, un surgissement, une touche première et un fini de lumière. Pourtant, rapprochées, elles s’abouchent, en formes de lumières, ombres de la clarté. À rebours de la reproductibilité photographique qu’il interroge ainsi en oxymore, Christophe Loyer offre au regard des créations de lumière, arrêtées et vibrantes à la fois, transparences, ondes et corpuscules.

Ce travail réfléchit d’autres recherches de Christophe Loyer, notamment la sculpture Sombre propos, une boite cubique, percée de deux étroites fentes verticales sur quatre de ses faces, un dispositif analogique entre la pensée, la lumière et la vision. Attirés vers l’éclipse du centre, les regards convergent vers un « trou noir » à la révélation imminente et irréalisable. L’expérience traverse et ranime débats et recherches sur l’économie de l’image et sa réfutation, sur la matière et l’imperceptible. En orientant le regard en tangence de ce qui échappe à la vue, la boite emmène la pensée vers ce qui lui est invisible, vers l’effleurement d’une clarté obscure, symbolique de l’inconnaissance et de l’impensé.

À l’instar de Sombre propos, le déploiement des formes de lumière est ordonné par une observation et un protocole. Pour la première, le commerce du visible, Christophe Loyer considère le constat, généralement admis, que la lumière est à la fois perçue par son absorption et sa diffraction et appréciée par ses qualités sensibles ; qu’elle éclaire, qu’elle révèle, qu’elle irise, mais ne semble pas, à l’œil, posséder ou produire de forme spécifique ; qu’elle serait homogène et transparente, sans texture propre, sans substance ; qu’elle serait figée. Mais, avec la lumière, rien n’est simple, toute observation un tant soit peu attentive brouille les a priori.

Comme l’a montré Blanca Casas Brullet, un papier photosensible, soumis aux rayons lumineux sans développement, ne présente pas un gris uniforme, plus ou moins dense selon le temps d’exposition, qui serait le signe de la neutralité de la lumière. Ni images, ni empreintes du visible, car elles n’ont aucun autre référent que la lumière, les photographies de Christophe Loyer, réalisées selon un protocole clairement identifiable, révèlent des configurations, des textures précises. La lumière s’y développe en mouvements pluriels, déploie en germe une pluralité de formes, esquisse des figures presque tactiles, qui semblent s’engendrer, comme un premier matin ; acquérir la visibilité d’une matrice originelle, jusqu’alors invisible.

La vibration sensible du grain de la photographie, le bruit de la matière lumière sont autant pensée de l’histoire de la représentation et de la physique de la lumière que poésie de la révélation, dans tous les sens du terme, se fécondant l’une l’autre.