Fotolimo tenait cette année sa cinquième édition du 25 au 27 septembre au format XS du fait de la pandémie. Cette manifestation franco-espagnole entre Cerbère et Port Bou a été initiée par la galerie Negpos de Nîmes. Expositions, projections et rencontres théoriques tentent à travers différents dialogues visuels de rendre compte de la situation idéologique et sanitaire de notre civilisation 80 ans après la mort de Walter Benjamin venu mettre fin à sa vie sur ce territoire du bout du monde européen.
Un film réalisé par Anouk Marsetti fait le point sur l’ensemble des exposants depuis quatre ans. On y trouve des vedettes comme Jacqueline Salmon, Patrick Zachmann ou Till Roeskens mais aussi des personnalités engagées dans les fictions documentaires comme Hortense Soichet ou d’autres jeunes femmes qui renouvellent autrement le reportage telles Françoise Bauguion, Aglaé Bory ou Pia Elizondo.
Initiateur de ces rencontres Patrice Loubon travaille cette année avec Patric Clanet, transfuge de l’ENSP d’Arles qui après différents postes dans des instituts français dont Mexico a été directeur de l’école d’Art d’Angoulême. Une autre collaboration nouvelle vient enrichir cette édition. L’association calalane aladeriva (A la dérive) est dirigée par Neus Sola et David Del Campo, deux spécialiste de la photographie participative ayant reçu aussi une formation supérieure en anthropologie.
L’une de leurs expositions les plus originales Insula est accueillie dans la grande salle des douanes de la gare de Port Bou. Elle résulte d’un atelier sur la question du Territoire réalisé dans la région avec neuf participants. Les deux autres prévus sur Frontière et Identités ont été annulés à cause de la covid. Cette production commune montre sur de grandes tables les photos non utilisées tandis qu’au mur un accrochage en constellation approche la diversité du territoire exploré lors de marches ludiques de création partagée.
En réponse à la situation sanitaire un film pandeMIA a permis de recueillir l’appel à images du confinement auprès d’un grand public, cela pose la question de la qualité esthétique des clichés avec le risque d’amener à conclure que toutes les images se valent. La démonstration contraire est heureusement faite par le choix d’un certain nombre de ces envois tirés en affiches collées dans les couloirs de la gare de Cerbère sous l’appellation Futur en construction.
La mise en commun d’éléments de communication, images et textes servant de Preuves de choses qui vont arriver est dû aux étudiants de l’école de photographie alternative de Barcelone L’observatorio. Créé il y a dix ans cette petite structure originale se consacre à un enseignement de l’image fondée sur la création partagée.
Rachid Ouettassi et Philippe Fourcadier ont échangé entre Maroc et France leur journal de Confinement, la même durée ayant retenu chaque créateur à son domicile dans les deux pays. Des envois quotidiens alternés chaque semaine ont permis une réponse en images d’une grande sensibilité, les diptyques témoignent de la résistance individuelle à cette solitude imposée.
Un autre dialogue s’établit entre deux évènements de nature malgré tout différente avec Failles de Lahcène Abib. Comme il revendique le Hirak immense soulèvement pacifique de la jeunesse algérienne a montré leur maitrise après vingt ans de silence imposé, le mouvement des gilets jaunes n’a jamais connu cette ampleur, ni ce dynamisme, la violente réponse policière française a pu choquer aux pays des droits de l’homme.Ces images de foule unie pour que Boubeflika quitte le pouvoir sont cadrées dans des plans généraux d’une réelle force visuelle, plus près des affrontements les scènes saisies à Paris restent au coeur des actions, montrant des affrontements individuels.
Fotolimo dans son récent développement a aussi trouvé un partenaire de choix en la personne de Pilar Parcesrisas dirigeant l’école d’été Walter Benjamin qui célébrait le 80 ème anniversaire de la mort du philosophe. On a pu y apprécier la projection d’un court métrage d’Eric Esser L’ange de l’histoire (Angelus Novus) mettant en perspective une peinture de Paul Klee et un poème de Benjamin. Cette collaboration a permis à notre rédacteur en chef Christian Gattinoni de donner une conférence montrant le passage Des images de la frontière aux nouvelles frontière physiques de la photographie où il n’a pas manqué d’évoquer entre autres la série d’Arno Gisinger Konstellation Benjamin.
La révélation de cette édition reste sans conteste Séverine Sajous qui présentait deux aspects d’une même situation celle des femmes migrantes du continent africain retenues à Calais. Dans le film #boza réalisé avec Anna Surinyach elle croise différentes esthétiques pour renforcer leurs témoignages, sont convoquées les ressources Snapchat, selfies, interview dans la pénombre propices aux confidences, et textes parlés et transcrits. Au plus près de leur intimité, sans aucun voyeurisme ni compromis aux bons sentiments elles rendent un témoignage d’une grande puissance émotionnelle.
La série de photo-textes retravaillées par les migrantes elles-mêmes s’intitule Roboteca , produites en dos bleu elles sont affichées à l’extérieur de la gare de Portbou parce qu’avec Julie Brun Séverine Sajous a produit des portraits de ces femmes sur le fond or d’une couverture de survie , leur demandant dans un second temps de découper les yeux , la bouche, le nez de leurs visages pour les échanger avec ceux de leurs compagnes d’exil. Le procédé ancien du portrait robot policier est ici détourné pour dresser un portrait collectif que les témoignages manuscrits insérés en bas de l’image rendent plus poignants encore.