Le festival Circulation(s) s’affirme de plus en plus comme un incubateur essentiel de la jeune création contemporaine. Il poursuit son implantation dans différents locaux du CentQuatre, exceptionnel lieu de vie et de recherche, avec des rappels dans la Capitale grâce à la RATP et à SNCF gares et connexions. Cette édition affirme un saut qualitatif tout à fait remarquable.
La reconnaissance institutionnelle du festival vient d’être confirmée par la nomination de Marion Hilsen, sa fondatrice, comme déléguée pour la photographie au Ministère de la Culture. La nouvelle coordinatrice générale, Céline Laurent, assure le suivi avec cette année l’appel comme marraine à Susan Bright, curatrice anglaise et enseignante qui a collaboré avec des lieux prestigieux comme la Tate Britain ou le Museum of Contemporary Photography de Chicago.
Les cinquante séries qui sont présentées cette année manifestent une réelle ouverture vers différents courants esthétiques. Les installations ou mises en scène recherchées sont nombreux. Les années précédentes l’accrochage du hall restait un peu flottant, ce défaut a été corrigé. Un ensemble de grands tirages façon studio in situ d’Arthur Crestani limitent l’espace, sur les cimaises centrales les tirages ont été accrochés plus haut ce qui régule l’impression visuelle. Un long couloir accueille des accrochages plus intimes.
Dans les liens aux arts plastiques plusieurs artistes expérimentent des sculptures éphémères. Emmanuel Tussore façonne l’un des plus vieux savons du monde , celui d ‘Alep, pour en faire naitre de fragiles monuments. Le luxembourgeois Boris Loder récupère des déchets propres à un lieu qu’il organise en composition sculptée. Nombreux sont les photographes qui font disparaître les identités, la leur ou celle de leurs modèles sous des amas d’objets qui ornent ou contraignent les corps . Cela peut se faire avec une réelle dose d’humour pour les autoportraits de la finlandaise Iiu Susiraja.
Mêlant photographie et origami l’allemande Alma Haser dont une des images sert d’affiche à la manifestation, masque les visages dans une déformation plastique intrigante.
Il est intéressant de trouver plusieurs séries qui abordent autrement des questions politiques dans une esthétique forte. L’espagnol Jon Gorospe met en lumière la question du traitement des déchets dans une approche noir et blanc qui passe de gros plans matiéristes à des éléments de paysage qui débordent jusqu’à la cartographie. Elsa Leydier opère avec sa série Platanos con platino un travail subtile de mise en cause d’un point de vue négatif et idéologique sur le territoire du Choco en Colombie. Mêlant journaux et prises de vue réalisée pendant sa résidence organisée pour l’ENSP d’Arles où elle a fini ses études elle donne une installation à déchiffrer. L’ukrainien Sergey Kammennoy produit lui aussi une installation qui imagine un album de fin de service militaire en mêlant images de son fils pendant cette période et icônes de la pop culture et de la peinture classique. Sa compatriote invitée elle aussi par la Rodovid Gallery aborde avec des images fortes une angoissante fiction de fin du monde.
Deux artistes utilisent les moyens de la communication ou de la publicité pour aborder par un autre biais des questions politiques. Le studio italien Defrost crée les affiches d’un ImmoRefugee comme guide immobilier de la jungle de Calais. Tandis que le suisse Thomas Egli met en scène une critique du tourisme de masse au sujet d’une petite île indonésienne.
L’un des travaux les plus singuliers présentés dans une installation expressionniste d’une grande force est mené par le turc Cagdas Erdogan à propos de la vie nocturne et souterraine de résidents Kurdes, Alévis ou réfugiés dans des actions d’ une grande violence.
Deux artistes travaillent le rapport à l’histoire de la photographie et à ses procédés anciens le choix des modèles de son corpus qu’opère l’espagnole Almudena Romero pour Growing Concerns rejoint le champ politique en sélectionnant des migrants qui se trouvent sur le territoire anglais, elle opère avec des ferrotypes procédé moins cher à l’époque et donc plus démocratique que les daguerréotypes. Charlotte Mano a inventé un intéressant procédé de révélation de l’image à la chaleur qui permet un rapport intime à ses images de famille. C’est l’album issu d’une collection anonyme qui est revisité par l’allemande Fiona Struengmann, elle modifie ces
« souvenirs silencieux » pour que le vernaculaire disparaisse derrière la relecture d’un passé commun.
Ces dernières propositions rejoignent tout un courant que l’on pourrait évoquer comme celui des identités flottantes. Elle s’appuie souvent aussi sur les fratries, Rachael Woodson suit ainsi ses frères depuis plusieurs années et elle met en scène leurs propos sur ces images. L’anglais Louis Quail dans Big Brother donne un ensemble de portraits très à l’écoute de son frère schizophrène. Lucie Pastureau installe un all over couleurs de portraits d’adolescentes qui prend une dimension très sensible. Très proche l’anglaise Susannah Baker-Smith met en tableau une approche plus sensuelle encore. Beaucoup de ces approches concernent le double : sous le titre Quart d’heure américain Billie Thomassin saisit de subtiles étreintes dansées, le polonais Lukasz Wierzbowski montre les relations ambigües de ses deux nièces, tandis que Judith Helmer (Pays Bas) pose de façon subtile la question de jumeaux monozygotes qu’elle montre Identically Different .
Pour ouvrir la question la finlandaise Karina-Sirkku Kurz révèle sa fascination pour un corps en mutation dans une problématique qui aborde aussi les troubles alimentaires. La question de l’identité se trouve également débordée sur le champ éthico-politique avec l’excellent ensemble d’images trouvées et recréees par Camille Lévêque et son collectif Live Wild qui interroge les genres sexués dans un rapport à une idéologie machiste. Le propos est aussi ouvert à la question de la cryogénisation que l’anglais Murray Ballard met en scène dans un mélange très opérant d’images scientifiques et de clichés plus matiéristes évoquant le charnel.
Parmi les partenaires éditoriaux de Circulation(s) le Prix Tribew éditant et diffusant des livres numériques avait récompensé l’an dernier trois artistes , ils ont cette année choisi l’italienne Alessandra Calo qui montre son installation Kochan dans un mélange très poétique d’autoreprésentations physiques liées à des cartes anciennes, la photographie y est présente sous différents états imprimés, l’ensemble scénographié approche le corps comme un continent blanc du désir affirmé au féminin.