Circulation(s) 2019, une édition en quête absolue de sens

« Ce festival se veut avant tout une mise à disposition de sens, c’est-à-dire le réel analysé et disséqué » Cette déclaration liminaire de François Cheval et Audrey Hoareau co-fondateur après leurs départs du Musée Nicéphore Niépce, de The Red Eye, structure chargée de la direction artistique de Circulation(s) 2019 se vérifie dans tous les aspects de la manifestation. Choix resserré des participants, structuration des champs de travail, meilleure scénographie contribuent à une édition très porteuse.

Dans le couloir qui mène aux différents lieux d’exposition du 104 notre attention est attirée par l’annonce des cinq grands chapitres qui structurent ce que nous allons découvrir.La formulation en est claire : pour désigner les créateurs qui réinvestissent l’archive « Le destin posthume des images », pour le corps en souffrance « Peut on élever un monument à sa propre douleur ? ». Pour ceux qui réinvestissent leur posture documentaire dans une narration : « Les Heures d’un monde mal en point ».Si « Le territoire, des signes et des identités » est clair on peut rester critique là où l’on sent le genre comme sa formulation beaucoup plus faible « le paysage entre constat et néo-romantisme ».

On exclura de cette critique Marine Lasnier qui pour Le Soleil des Loups croise géologie et destins d’adolescents dans une approche sensible du paysage avec ses tirages denses et la suissesse Anastasia . Son projet Iceworm aurait pu figurer dans les fictions documentaires avec son reclassement d’archives en regard de tirages cyanotypes pour une visée très politique : une critique de l’effet polluant d’une base américaine en 1959.

L’approche la plus contemporaine du paysage se trouve dans Territoire avec le suisse Douglas Mandry qui pour ses Unseen Sights part de clichés noir et blanc qu’il assemble et colorise avec des nuances flashy, cela crée une sorte de dématérialisation sensible.

La sélection roumaine reste assez traditionnelle. La série de diapositives éducatives de Mihai et Horatiu Sovaiala accrochée en tableau part d’une louable intention mais son message est peu clair. On peut s’intéresser à Ioana Cîrlig qui documente la vie des communautés rurales de son pays, menacées par la désindustrialisation.

Dans l’ensemble des thématiques concernées on peut apprécier la force distanciée des objets du quotidien de Camille Gharbi qui ont tous servi à des féminicides domestiques. Fur Mich de l’allemande Sina Niemeyer constitue une approche très plastique des abus sexuels. Esercizi obbligatori (Compulsory Exercises) de l’italienne Marilisa Cosello mélange une projection de gestes gymniques datant du fascisme avec deux mises en scènes sur le quotidien et la sexualité.

Trois travaux sont très proches de l’art contemporain, celui de Morvarid K superpose à des images anciennes de l’artiste une inscription systématique de traits d’encre qui les dissimule. L’espagnol Rubén Martín de Lucas a vu ses Minimal Republics récompensées par le prix Tribew et bénéficiera de l’édition et de la diffusion d’un livre numérique.

L’ensemble d’oeuvres le plus cohérent touche aussi à la question essentielle aujourd’hui du devenir des images.Dès l’arrivée dans la grande halle du 104 l’impression de clarification de l’espace appuie ce sentiment de recherche du sens d’autant que les travaux se répondent et se complètent. Le décor technologique en est dressé par Philippe Braqueriez, il questionne de façon frontale la rapidité des avancées technologiques et le futur dans un monde de datas et du tout numérique. L’histoire du siècle précédent est abordée par Mathieu Farcy dans une approche très respectueuse des gueules cassées de la première guerre dans Chers à canons. Tandis que le mouvement anarchiste italien des années 1970 est scénarisé par Umberto Coa dans Non dite che siamo pochi (Do not say we are few). La question des modèles genrés imposés par l’époque s’illustrent dans les grands tirages format affiche d’Hélène Bellanger pour Right Color, le maquillage questionne la beauté starisée. Au masculin les mélanges photo dessins de l’ukrainien Maksim Finogeev interpellent eux aussi les critères normatifs. L’ensemble plastique le plus cohérent nous est offert par Prune Phi qui poursuit avec Long Distance Call la quête de ses origines franco vietnamiennes, qu’elle a traqué dans la recherche de sa famille émigrée aux Etats Unis avant de partir pour le pays de ses ascendants.