Circulations pour sa 15e édition au 104 poursuit une exploration des pratiques contemporaines de la photo émergente en Europe. La collaboration avec la RATP se poursuit et s’intensifie, 16 stations de métro accueillent une sélection de projets emblématiques des dernières années. Le collectif Fetart, créé en 2005 par Marion Hilsen et Valérie Lambijou est géré par une direction collective féminine, ces six commissaires assurent une ouverture aux pratiques diversifiées de 21 artistes et un duo, différents types d’engagements individuels et collectifs y sont à l’œuvre.
La majorité des œuvres sont liées à des territoires ou a des communautés spécifiques, cela peut se manifester dans le domaine de l’intime en relation aux racines mais aussi dans des engagements idéologiques de situations historiques. L’humain y est mis en question dans toutes ses relations y compris dans l’altérité animale. Deux séries jouant d’un réalisme fantastique la mettent en scène. L’italienne Claudia Fuggetti montre ses Metamorphosis en couleurs psychédéliques dans un monde tout à fait onirique. Dans la sélection lituanienne, Agné Gintalaité dans Chasing Digital Truth met l’IA au service de transformations foistesrmelles qui se montrent comme telles pour rendre visibles des créatures hybrides en action.
Trois artistes exploitent des formes diverses d’héritages maternels. Venant de Slovénie Lucija Rosc performe le matrimoine d’une dent en or hérité de sa grand-mère Babiscina. Récupérant le précieux métal, elle se fait implanter une dent et en témoigne en images. Emeline Amétis dont la famille est originaire de la Guadeloupe réactive un album de famille de sa mère sous le titre peyi manman : le pays des mères. La libanaise Sama Beydoune montre son héritage avec trois générations de sa lignée en explorant la cuisine, gestes, recettes et produits culinaires qu’elles lui ont légué devenus Langue maternelle.Pour mieux montrer le caractère partagé elle a demandé à des compatriotes de cuisiner pour elle des mets libanais qu’elle documente.

Au plan des relations de genre, trois œuvres les mettent en crise. L’artiste d’origine chinoise Tianyu Wang dans ses montages de corps en auto-mises en scène de sa série Hiding and Seeking offre une résistance performée à la culture patriarcale. Pour mettre en question les figures idéologiques du genre Isabella Madrid, venant de Colombie, diplômée de l’ECAL en Suisse, construit ses clichés « biens, bons et pas chers » de l’hyperféminité kitsch. Le même corps extrême dans sa masculinité toxique est démonté dans un totem de trois écrans vidéo par le couple Jacob Gauslmeier (Allemagne) et Ana Zibelnik (Slovénie), installation titrée Bereitschaft relecture d’une statue d’Arno Brecker dans les transformations actuelles et guerrières du corps bodybuildé.

Deux projets dans des esthétiques fort différentes illustrent le traumatisme du viol. La belge Aubane Filée diplômée de Saint Luc à Liège crée une installation vidéo pour affirmer cette revendication à valeur curatrice Nous sommes légitimes en témoignant de toutes les manifestations post-traumatiques de l’agression sexuelle. La française Cendre dans Minuit brûle montre avec trois ensembles les conséquences de l’agression homophobe qu’elle a vécue. La pleine lune accusée d’en être la cause donne le titre, 180 risographies colorées rassemblent autant de figures menaçantes de loups. D’autres images de la plasticienne sont trempées dans son propre sang menstruel.
Quatre projets correspondent à des situations communautaires actuelles abordées dans des pratiques mixtes entre photographie et sciences humaines. L’ukrainien Artem Humilevski construit ses images dans des performances au sein de la nature pour insister sur les racines communes Roots qui structurent la résistance du peuple face à la guerre. La belarusse Lesia Pcolka en ethnographe trace dans Roadside Objeks un itinéraire en recherche de la mémoire collective, celle des croix en bord de chemin. Comme un certain nombre ont disparu, elle en crée d’autres aux couleurs du drapeau LGBTQIA +. Le français d’origine algérienne Valentin Valette crée une installation de fiction documentaire avec objets et documents à propos de la situation dans le Sultanat d’Oman où il montre les conditions des travailleurs étrangers exerçant dans les domaines du pétrole et du gaz. Wendie Zahibo originaire de la Côte d’Ivoire et de la République centrafricaine, diplômée de l’ENSP d’Arles poursuit un projet au long cours Masonn qui avec différentes techniques scénographie les habitats vernaculaires des communautés de l’afro-diaspora.




Cette édition montre plus que jamais l’existence d’une génération européenne d’artistes capables de s’engager plastiquement pour illustrer les grands conflits auxquels l’humain est confronté dans son histoire, dans son intimité comme dans son devenir.