Utopies ou dystopies, la question des cités rêvées taraude notre modernité. Un atelier dans le collège Daubigny d’Auvers-sur-Oise et quatre artistes questionnent, par la fiction, la pensée et les mythes d’un horizon de finitude où l’urbanisme démesuré génère l’exclusion, où la confusion aveugle entre l’utilitaire et la rentabilité immédiate devient un des principaux générateurs d’inégalité, de déséquilibre et de désordre. Leurs œuvres, sensibles à l’environnement local, scrutent les excès d’une esthétique universaliste et d’un credo techniciste qui font fi du bien commun, de l’appropriation par les usagers, de la réaffectation et du réemploi des architectures. Ensemble, dans un réseau de correspondances ouvert à la communication et à l’échange avec les visiteurs, ils prônent l’écoute de la diversité et l’inattendu du devenir, l’utopie d’une pensée et d’une action partagées vers ce qui n’existe pas encore.
Au sol, un entrecroisement de baguettes et de formes géométriques noires ; en réserve, appuyées sur le mur, d’autres baguettes de la même couleur. Une maquette, un jeu de construction ? Le spectateur domine l’installation, en fait le tour pour multiplier les points de vue, se baisse pour en saisir l’arrangement de verticalité et d’horizontalité, tout en pensant à d’autres configurations, aux potentialités d’extension et de rétraction, de regroupement et de dispersion, dans la salle d’exposition et au-delà des murs ; toute une combinatoire d’éléments se lie et se délie en communication alternative. Le corps, autant que l’œil, est en action, il oriente la perception et l’idée spatiales en un système de possibles. Avec l’installation « Et si », Najma Darouich propose ainsi l’événement d’une cité imaginaire, l’interconnexion inachevée d’« architectures » noires communiquant dans une chaîne de passerelles, comme structuration en cours de l’expérience spatiale. Le spectateur peut y voir autant l’image mise en doute d’une cité réelle que celle d’une utopie urbaine ouverte à l’intervention des habitants, à la réutilisation et au redéploiement permanents des formes et des liens.
Le sable, comme une plage ou une île, des plaques horizontales et des parallélépipèdes verticaux, comme une maquette de structure urbaine avec son extension off-shore, une branche qui se flétrit et une multitude de capsules transparentes, Patricia d’Isola met en scène tout un contexte d’ici et maintenant ou d’ailleurs dans le temps et l’espace. « Multivers 1, 2, 3 », une multitude de figurines minuscules, blanches de leur impersonnalité, peuplent l’installation, immobiles dans les gestes et les actions du quotidien. L’arrangement musical de Jean-François Larrouzé, à partir de la captation de sons industriels, en orchestre la solitude indifférente. La violence comme l’insignifiance des saynètes, que les personnages, figés dans leur situation, restent enfermés dans leurs bulles ou s’en échappent, qu’ils escaladent à la queue leu-leu la branche dont les feuilles se dessèchent et tombent, qu’ils soient figés dans les structures « urbaines », le regard et les gestes vides, placent le spectateur en situation de scrutateur d’un monde sans échange, voué aux incohérences, aux discriminations et aux désordres sociaux et environnementaux. Libre d’ausculter les mises en scène dans leur indépendance ou de les relier dans des narrations aux bifurcations et aux croisements à réinventer à chaque mouvement du corps et des yeux, le visiteur se prend alors à douter, balançant entre l’observation distanciée, l’implication et l’interrogation sur les possibles de l’action dans l’horizon qui vient.
Pour l’installation « Abat-jour », Teruhisa Suzuki a moissonné le plateau du Vexin. Il a tressé les tiges de blé aux épis mûrs sur une structure légère de branchages accrochée sous la voûte. Au souffle déplacé par le mouvement du visiteur, l’abat-jour oscille dans le bruissement du chaume et le chuchotis des épis, emplit l’air enfermé d’un parfum fragile. Abat-jour ou cabane, l’architecture frêle infiltre le rêve synesthésique d’un habiter autre.
Les ossatures de papier, superposées en tours sans fin par Christophe Le François, révèlent le squelette fragilisé d’un « Skyline », transparence et ombre projetée d’une ville fantôme, offerte comme modularité architecturale d’une interchangeabilité, d’un ensemble d’espaces sans identité et non relationnels à subvertir. Mettant en forme dans une esthétique relationnelle la notion anthropologique de « non-lieu », dépliant le débat des « machines à habiter », débarrassées de leur mirage et de leurs accessoires de modernité factice, Christophe Le François propose au visiteur les matériaux et les outils d’une appropriation collaborative de l’installation pour faire de chacun des cubes préformés une singularité, de leur implantation urbaine un imaginaire de l’advenir ensemble.
Les maquettes des projets réalisées par les élèves du collège Daubigny avec des objets usagés et des appareils obsolètes ponctuent l’exposition, ouvrant le questionnement du vivre ensemble sur une production responsable et respectueuse de l’environnement ainsi que sur le recyclage des déchets.