Claire Chevrier a longuement travaillé sur la question du paysage , elle a cherché à faire ressurgir la mémoire des paysages de guerre, cerné les zones pensées et impensées des mégalopoles, elle a exploré les lieux sociaux du travail. Son dernier livre « Espace traversés » paru comme les précédents aux éditions Loco s’attache à des lieux de soin, accueillant des personnes handicapées – physiques et mentales.
Selon Fabrice Bourlez, dans sa préface Teatrum Photographicum, Claire Chevrier opère par via di levare. Face aux trop pleins du réel elle intervient par suppression dans les espaces quelle traverse , selon ce que l’auteur nomme « une poétique du moindre ». Cela correspond aussi à sa méthode de travail, constitution d’un dossier préliminaire constitué de nombreuses recherches. Elle opère ensuite de nombreuses prises de vues dans divers lieux présentant les mêmes caractéristiques. Ensuite un travail d’accrochage au mur dans l’atelier lui permet d’arriver à sa rigoureuse sélection finale.
En ouverture du livre Espaces traversés des images décentrées ou des fragments sont disséminés sur la page nous obligeant à un regard flottant, comme l’écoute d’un psychanalyste, puisque tous ces lieux sont espaces de soin, Centre Hospitalier Spécialisés , Centre de Santé Mentale, Unité Psychiatrique ou Centre Thérapeutique et de Recherche. Evoquant son mode d’action au moment des prises de vues elle revendique une action centripète partant des limites d’un lieu vers son centre.
Le premier cahier de reproductions s’ouvre sur un paysage montagneux puis nous rapproche en plans plus serrés d’habitations au coeur d’une zone pavillonnaire. Il faut attendre les pages trente et suivantes pour que les premiers humains apparaissent. Une double page offre un plan rapproché d’un groupe de personnes âgées certainement dans le parc d’un EHPAD.
Dans sa stratégie de retrait ses légendes restent volontairement générales évoquant espace ou personnage(s) avec la seule mention intérieur you extérieur. Si les lieux dans lesquels elle opère ses prises de vues demeurent dans un certain anonymat, ils gardent une puissance anxiogènes, manifestant une violence latente.
Il en est de même pour les protagonistes , à nous d’identifier tel groupe de travailleurs au service des patients, tel ensemble de soignants ou telle situation professionnelle comme ce workshop théâtral à visée thérapeutique. De nombreuses attitudes demeurent en suspens même si d’autres gestes ou mouvement apparaissent presque chorégraphiés.
Une avant-dernière image isole un personnage de dos dans la solitude d’un jardin clos , lieu d’une Annonciation pour une mort prochaine, tandis que le livre se referme sur les fenêtres fermées d’un bâtiment administratif.