Claire Chevrier a longtemps tenu à distance ses sujets, préoccupée par le paysage et la manière dont la mémoire s’y inscrit. Elle a opéré au fil de ses nombreuses séries des changements de perspective , des resserrements de son cadre.
Plan général nature
Ainsi après la série inaugurale des « loupes d’eau », une sorte d emise au point impossible, pour le regardeur du moins, perdu dans l’absence d’échelle, elle consacre un hommage grand format à Socrate, magnifiant un buisson de cigüe se détachant sur les brumes de la montagne. Puis elle opère un zoom avant vers la ville, faisant des liens par des prélèvements de ciel, et mettant en scène une violence latente qui sourd. Un tube néon s’illumine par la seule proximité des lignes à haute tension qui balafrent l’horizon tandis que les cibles restent potentiellement humaines dans des stands de tir de compétition.
Les grossissements de la mémoire
La recherche de l’homme approfondit le zoom entre guerre et enfance : de vieux moules de soldats de plomb laissent leur réserve suggérer à ces figurines des moignons d’aile tandis que le tirage leur donne la taille du petit d’homme. Le zoom se fait temporel sur de vieilles diapositives 4×4 qui permettent de revisiter la guerre de 14 du grand père de l’artiste. La dégradation chimique du support donne au Vercors du conflit les blancs dont elle est toujours en quête, métaphore du temps d’une déflagration. Le zoom avant dans le temps reprend jusqu’à la célébration journalistique des « évènements » d’Algérie.L’image du quotidien caviardé d’épluchures est traitée en sérigraphie sur toile cirée pour conserver à la mémoire une économie domestique et ainsi une distance. La matière du journal se trouve encore amplifiée pour les « Avis de décès », anonymes et agrandis ils constituent une fin de cycle qui génère un retour arrière à une échelle bien plus grande, celle de la vision satellitaire.
De retour vers une ville potentielle
Claire Chevrier reproduit alors des cartes IGN dont elle accentue la censure protégeant les terrains militaires en surlignant ces espaces parfaitement repérables par des formes métalliques. L’étape intermédiaire la série sur la mémoire dans le Vercors présente des vues d’avion et donne d’un cimetière mérovingien des aperçus bouchés d’une nature sans horizon, animée seulement par la vibration des verts. La liaison se fait ensuite avec d’autres plans généraux de paysages mi-industriels, mi ruraux dont l’horizon se trouve aussi barré d’écrans, rideuax d’arbres, barres d’immeubles …Ils se complètent de lieux en transformation, comme cet étonnant faux chantier fait uniquement de façades et que l’éclairage urbain métamorphose en un plateau pour un sécénario immobilier.
Elle choisit un autre décor qui reconstitue pour une école de police un appartement F3, dont les pièces reconstituent autant de lieux de crimes. Un séjour à Hong Kong lui fournit un autre trompe-l’œil, une sorte d’appartement témoin, show room pour la ville.
Vers « les paysages-villes »
Considérant les dangers d’une telle impasse sur le réel elle fait retour en de larges plans sur des « paysages-villes » dont elle recherche les vastes espaces à l’international, explorant los Angeles, Bombay, Lagos, Rio,Damas, bagdad et Beyrouth. Là elle renoue avec l’humain, cherchant les leiux de croisement, de rencontre et de rassemblement. Elle inaugure ainsi ses approches de différents métiers aussi divers que vendeur de feux rouges à Lagos au Nigérian ou laveur de tapis dans les rues de Bagdad.
Sur le terrain du travail
Ce sont aussi les petits métiers de la Drôme qui ont retenu son regard à niveau d’humain, en réponse à cette commande pour le château de la Suze la Rousse et le Musée International de la chaussure. Opérant une classification des attitudes en lien à la machine comme dans les occupations solitaires ou de groupe elle participe de ces nouvelles attitudes documentaires, entre reportage et projet artistique. Son travail peut aussi flirter avec une vision plus historicisée en liaison avec l’histoire de la peinture quand une scéance de kinésie –thérapie, rend hommage à des scènes de genre, lorsque le pull côtelé d’une patiente peut se lire comme une sorte d’écorché. Elle réussit sans nostalgie ni jugement socio-catégorique à construire une chronique contemporaine du corps au travail avec une grande rigueur.