Clarisse Vincent, L’idée et la couleur

Au début, il y a l’idée et la couleur. Et l’une, et l’autre, réciproquement, dessinent des formes dans et avec la matière picturale, les dissolvent autant qu’elles les révèlent. Figurative et abstraite, la peinture de Clarisse Vincent joue en tension entre la tache pigmentaire et la figure, le geste et l’aléatoire, l’émotion et le symbole.

Quelquefois une question, élémentaire et philosophique. Comment représenter le rire, le déclenchement impensé d’une perte d’équilibre, d’une capacité à la distraction, le mouvement social du visage et du corps, entre attraction et répulsion ? Bien sûr, on pense à Quentin Metsys, Annibal Carrache, Rembrandt… et aussi aux Caprices de Francisco de Goya, aux démons de Katsushika Hokusai et aux expériences de Duchenne de Boulogne. Et, sans doute, Tous attendent Marguerite, colle et pigments sur toile, 130 x 97 cm) est riche de rencontres multiples, d’attentions et de dialogues croisés sur la mécanique du vivant : un ciel de bleus sombres, éraillé d’une oblique blanche, une fulmination de corolles derrière laquelle se tiennent quatre personnes au rire d’une étrange familiarité. S’agit-il dans le souffle agité de jaune, du « bouquet d’abominables, d’inquiétantes fleurs jaunes […] Vilaine couleur. », de ces mimosas qui se détachent sur le manteau noir de Marguerite sur le boulevard de Tver ? Marguerite absente, est-ce le bouquet jaune qui porte l’anxiété, la solitude de ses yeux ? En lieu et place du Maître, qu’attendent ces figures à la joyeuse complicité qui inquiète leurs traits ? Nulle réponse dans la confrontation des plans et des histoires, la distinction et le fondu des masses colorées et des formes que l’incertain maîtrisé de la technique picturale rapproche et éloigne. Au spectateur de promener son regard et d’aiguiser sa pensée dans la jouissance de l’image.

L’histoire de la peinture est tangente aussi dans Maternité (colle et pigments, 138 x 95 cm), Picasso et quelques autres. Le travail de la matière, dans lequel le geste préserve et façonne l’indétermination du liant, la vibration au rouge des nuances du pigment, irriguent la toile d’une simplicité, d’un immédiat symboliques, presque fusionnels entre les deux personnages, que ne font que renforcer le mouvement enlaçant des bras et le jeu des mains. Une boucle d’oreille focalise le regard, étonne le visage de la mère, souligné d’un trait sombre, et la tradition de la représentation est bousculée, prenant acte de toutes les modernités, fantasmatiques comme spirituelles.

Clarisse Vincent se plait à citer. Non pas pour donner des clés, mais, par la peinture même, pour instruire à un dialogue et à un imaginaire ramifiés qui, tout en absorbant l’esthétique de la représentation et l’histoire de l’art, font résonner l’image en associations et en détours, l’ouvrent au vagabondage des idées et du plaisir. Interrogation picturale sur la représentation d’une fable qui ne signifie rien, où se séparent et se rejoignent Le bruit et la fureur (colle et pigments sur toile, 61 x 38 cm) et L’exil d’un fou (huile sur toile, 162 x 114 cm) ? Expériences de la diversité de techniques qui se nourrissent, l’une l’autre, de la liberté accordée aux couleurs ou de leur domptement ? Dans l’une, l’économie des couleurs et la transparence aigüe des pigments dilués dans la colle découvrent la possibilité fictionnelle de récits dystopiques, une intrigue d’aliénation où les personnages se dépossèdent, impuissants, de leurs corps dans l’espace-temps figé de la toile. Dans l’autre, la fulguration des couleurs, touches d’huile brossées énergiquement en digressions sombres et claires, saisit l’inadaptation confuse de l’exil intérieur et extérieur.
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Peinture en rhizome peut-être ? Que poursuit le triptyque Structure désirante – objet du désir – espace temps du déploiement (fusain, huile sur toile, 132 x 40 cm) dans le dépli de correspondances et de symboles où manque paradoxalement la figure.

Un écho à saisir dans la richesse des rencontres, la résonnance des problématiques et des références, rejouées et travaillées avec simplicité et plaisir dans le mouvement même de peindre, pour révéler, dans l’attention aux inattendus de la matière picturale, la figure issue de rêves (Les fusillés) ou de réminiscences (Violée aux aurores), autonome, isolée ou constituée en groupe dans une ambiance d’ailleurs.

Dans la peinture de Clarisse Vincent, la distinction entre abstraction et figuration n’est qu’une question de déplacement, d’écart au moment où le plan de la toile prend sens, qu’il y ait préméditation ou non. Ainsi l’horizon du grand Paysage abstrait (colle et pigments sur toile, 195 x 114 cm) s’anime-t-il de la stabilité et du mouvement de ses éléments.