La dernière exposition de Claude Viallat à la Galerie Daniel Templon se termine dans quelques jours (09 avril) et ce serait dommage pour les amateurs (et peut-être aussi pour les détracteurs) de ne pas l’avoir vue. Bien sûr, l’artiste de Supports-Surfaces utilise toujours la même « forme », mais cette fois, encore plus que d’habitude, il se met dans des conditions propres à renouveler l’aspect de ses peintures. Comment faire tenir son motif pattern sur des tissus en eux-mêmes étonnants par leurs textures ou par leurs impressions imagées.
Comme il le déclare dans un entretien vidéo (1) , il s’efforce chaque fois de relever les défis que lui propose son assistant. Celui-ci lui fournit des textiles avec des motifs préalablement imprimés avec, par exemple, des vignettes de bandes dessinées, des reprises de graphes muraux (Sans titre n°238, 2013, acrylique sur tissu imprimé graffitis) ou encore des reproductions d’images pop. Ces motifs répétés en quinconce organisent par eux-mêmes une trame sur laquelle Claude Viallat vient disposer la sienne faite de la répétition de ses « osselets ». Sur ces textiles à forte présence iconique initiale l’artiste doit imposer son propre réseau abstrait. Sa « forme » peut exister seule, cela se rencontre quelquefois dans cette dans cette exposition, mais le plus souvent elle est l’élément de base d’une trame. Le défi que doit chaque fois relever le peintre est de créer une structure suffisamment dense pour imposer visuellement sa propre trame peinte afin de contrecarrer celle, parfois très présente, des motifs imprimés. Les espacements entre les formes-osselets doivent être appréciés de manière à assurer une juste cohérence. Pour certaines œuvres les espaces entres ses « formes » sont colorés, dans d’autres la tension entre celles-ci suffit à assurer la présence du non peint ; il arrive aussi que les espaces seuls soient peints laissant les « osselets » en réserve. Comme on peut le constater, dans l’action, l’artiste opte pour l’une ou l’autre des options. Celui qui, depuis 58 ans, travaille la répétition de formes semblables ne manque pas de métier et pourtant il attend chaque fois d’être le premier surpris par les effets obtenus dans sa nouvelle création.
Pour chaque toile de l’exposition le visiteur, consciemment ou pas, évalue le challenge : Viallat impose-t-il sa grille ou vient-il se fondre dans le réseau des motifs imprimés ? La réponse n’est pas évidente. De près le système iconique prend le dessus ; plus l’on s’éloigne, on peut aussi cligner des yeux, plus le réseau peint impose sa présence structurante. Le fait que celui-ci soit peint manuellement, donc avec de multiples petites imperfections tant dans le surfaçage de la couleur que dans le dessin des contours, favorise cette autonomie par rapport à l’impression mécanique. En peintre, qui exécute toujours personnellement ses œuvres, Claude Viallat prend plaisir « à retourner complètement », comme il le dit, les images pop faites pour des reproductions mécaniques (imprimerie ou sérigraphie). Parce que la genèse des œuvres est toujours une aventure, les résultats sont plastiquement toujours différents, même en prenant le même tissu initial une seconde toile serait différente.
L’autre type de challenge, toujours proposé par l’assistant au maître et dont on peut voir les résultats dans cette exposition, concerne l’emploi comme support de fond de textiles finement froissés créant de légers reliefs ou mieux encore de lamés peau de serpent ou de lamés or. Ces tissus modernes faits de fibres synthétiques (acétates, polyesters, etc.) réagissent différemment à l’adjonction par l’artiste de la peinture acrylique. Parfois la couleur ajoutée a du mal à pénétrer, il faut insister ; d’autres fois elle traverse vite, trop vite, et surtout la teinte étendue n’imprègne que certaines fibres du matériau. Parce que ces étoffes on été conçues par superposition d’éléments hétérogènes, les rectos et versos des œuvres peintes présentent des aspects étonnamment différents. Le choix de l’artiste, découvrant ces avènements inattendus, a été de créer un dispositif de présentation (un léger cintre suspendu au milieu) permettant au spectateur d’apprécier successivement les deux faces des toiles libres mises en mouvement par le passage des spectateurs. Les aspects sont si divergents que l’on retourne de l’autre coté pour essayer de comprendre les raisons de ces variations. Précisons que, dans plusieurs cas, la réussite esthétique de l’un comme de l’autre des côtés comble le regardeur ainsi que l’éventuel acheteur, qui possèdera deux Viallat pour le prix d’un !
Même si tous les paris engagés n’entraînent pas la même réussite plastique — à notre sens, pour la toile ronde (Sans titre n°334, 2013 acrylique sur nappe de Noël), les accords entre les espaces, les motifs, les couleurs du fond et ceux du réseau de formes ne sont pas résolus — on peut dire que Claude Viallat réussit par cet accrochage à nous prouver qu’il a raison de continuer à travailler jours après jours avec la forme-osselet. Il découvre toujours, comme il le dit, de nouvelles « ouvertures possibles ». On peut prévoir qu’il saura encore dans une prochaine exposition nous surprendre.
1) http://www.danieltemplon.com/new/artist.php ?la=en&artist_id=91&display_video=1