En proposant le titre de « Contre-culture dans la photographie contemporaine » publié par Textuel Michel Poivert entérine une nouvelle situation de la création image qui regroupe 180 oeuvres de 130 artistes sur plusieurs décennies. Marc Lenot les a étudiées en tant que photographie expérimentale , François Salmeron et François Ronsiaux approchent à travers leur biennale parisienne l’image tangible , Yannick Vigouroux les défend en tant que photo povera et les deux récents salons Offscreen et A ppr roche en ont démontré la vivacité , ce dernier ayant accueilli une des premières présentation publique du livre.
Le livre se veut le témoignage d’une génération mais il laisse leur juste place à des initiateurs de ces recherches. D’ailleurs la mise en page confronte souvent avec habileté des travaux d’artistes manifestant cette antériorité avec des plus récents.
Des doubles pages font ainsi dialoguer les oeuvres surcyclant l’archive de Catherine Poncin et Agnès Geoffray, de Santu Mofokeng et Joachim Schmid, des installations de Din Q Lê et Erik Kessels, ou encore des portraits de Rachel Portesi et de Sally Mann.
On peut comprendre qu’un second chapitre rapproche les pratiques archaïsantes qui dans une temporalité lente utilisent des appareils sans qualité, des papiers périmés ou le sténopé d’une plus récente habitude qu’il évoque comme survivaliste en ayant recours à des techniques plus naturelles comme l’antotype chez Léa Habourdin ou Christine Elfman. Il est plus étonnant qu’il sépare ces expériences de celles qu’il évoque, à juste titre, comme archéologie du médium. Le livre de Yannick Vigouroux et Jean Marie Baldner est cité dans le premier alors qu’il concerne aussi des artistes du second. A ce propos il est étonnant qu’un certain nombre d’ouvrages soient évoqués dans le corps du long texte d’étude, mais qu’aucune bibliographie ne se trouve en fin d‘ouvrage. Dans une curieuse omission il n’est pas fait référence à Paolo Gioli comme expérimentateur absolu dans ces deux champs, décidément sa fortune critique en France est bien pauvre.
D’ailleurs dans ce choix les scènes italiennes ou luxembourgeoises sont absentes.
Dans cette attitude énoncée comme anténumérique les pratiques évoquées sont aussi nombreuses que les révélations de créateurs internationaux. Sont rappelés les utilisations expérimentales du Polaroïd chez Corine Mercadier ouDriss Aroussi . Ilanit illouz fait retour à l’héliogravure comme Coline Jourdan qui la modifie par des interventions à la javel sur les plaques de cuivre, Marie Clérel expérimente le cyanotype et Almuneda Romero le ferrotype, quant à Sara Imloul c’est le calotype en négatif et Brittany Nelson travaille le mordançage.
Les interventions graphiques et plastiques regroupées en tant que manufacture photo si elles accueillent comme on peut s’y attendre des formes actuelles de collage laissent une étonnante grande part à différentes formes de coutures et broderies. La grande collagiste Katrien De Blauwer fait face à la découverte de Sarah Hardacre. Une juste place dans ce domaine manuel est réservée à une oeuvre radicale et féministe d’ Annegret Soltau. La couverture de l’essai est ainsi donnée à Julie Cocburn pour cette image très graphique. On est heureux d’y retrouver les expérimentations soutenues de Carolle Benitah.
Si le chapitre « Amplification » est complété par le programme « performer le photographique », il concerne plus le passage de la 2d à la 3d et aux actions sculpturales qui y parviennent qu’à la performance, si ce n’est dans l’installation de découverte en infra rouge par Mathieu Boucherit d’une célèbre photo de reportage. Quant à Aurélie Petrel présente seule dans cette partie, son duo avec le performer Vincent Roumagnac ne figurera que dans la dernière partie. Mais il est intéressant d’y découvrir les suspensions couleurs de Daisuke Yokota , ou les tentures transparentes de Laurent Lafolie autant que diverses photo-sculpture de Sylvie Bonnot.
L’auteur décrit les pratiques des « Reconnexions » comme soucieuses d’éthique et d’écologie. Les expérimentations en laboratoire comme celles de Dove Allouche avec ses lames de gypse se projetant lumineusement sur le papier y côtoient d’autres oeuvres puisant dans le domaine des sciences humaines y compris des formes de géographie naturelle, qui peuvent intervenir sur le terrain comme le fait Raphael Dellaporta. Les manifestations de défense des chemins de randonnée sont documentées par Geoffroy Mathieu. Les installations puissantes de Dominique Floc’h témoignent de l’inquiétant état des eaux sur notre planète.
Le dernier chapitre énonce diverses utopies, celles de mondes possibles. Lionel Bayol-Thémines se préoccupe de la sonde spatiale alors que Marina Gadonneix poursuit sa quête de l’iconographie scientifique. Thibaut Brunet réinvente les formes de l’architecture. Les oeuvres réunies ici sont celles qui allient une force esthétique due à une technique et des protocoles complexes au service d’un projet singulier. C’est le cas de Sylvain Couzinet-Jacques ou de SMITH, ce que Michel Poivert résume ainsi :
« Activisme et poésie se mêlent pour proposer des mondes où il est question de matérialité, de geste, de réconciliation et de résilience : c’est dans le corps de la photographie que les artistes cherchent à relire le monde et en inventer de nouveaux, par des utopies où l’imaginaire permet de dépasser le culte des images. »
Dans sa sélection internationale, dans le mélange des générations, comme par la précision des textes introductifs de chaque chapitre ce livre est un outil indispensable pour connaitre un champ important de la création photographique aujourd’hui.