Corps peint et photo brute

Bataille, Rilke, Jouffroy, Scutenaire, White, et tant d’autres ont écrit sur, avec, pour l’art, son histoire, ses motifs, ses figures, ses mouvements, ses chefs d’œuvres. La collection Studiolo, aux éditions L’Atelier contemporain donne accès à ces textes passionnants. Parmi ces petits ouvrages émaillés d’images, on relève la présence renouvelée de Michel Thévoz, avec notamment « La photo brute » et « Le corps peint ».

Si l’univers de Michel Thévoz est profondément associé à l’Art brut, puisqu’il est le fondateur de la Collection de l’Art brut à Lausanne, musée qu’il a dirigé pendant plusieurs décennies, La photo brute est un texte inédit, accompagné d’une préface d’Antoine Gentil, commissaire d’exposition également spécialiste du sujet.
Ambivalence, ontologie, subversion, occultisme, perversion, régression, parallaxe, magie, relique, fétichisme, voyeurisme, cécité, ratage, ignorance, anonymat, les entrées se succèdent pour offrir des pistes de compréhension d’une photo brute, conçue comme une typologie d’œuvres pointant et déjouant le formatage culturel de nos images.

Entre La photo brute et Le corps peint l’image d’une œuvre de Zdenek Kosek figurant dans le premier ouvrage pourrait tisser un lien entre les deux thématiques. L’artiste autodidacte tchèque a recouvert une image érotique glanée dans un magazine de centaines d’inscriptions bleues. La femme dévoilant son sexe apparaît alors comme tatouée par les motifs qui envahissent sa chair.

« Il n’est de corps que peint et il n’est de peinture que corporelle ». C’est sur cette hypothèse que s’ouvre Le corps peint écrit par Thévoz il y a plusieurs décennies, aujourd’hui agrémenté d’une préface pour sa réédition. Dans ce texte, Thévoz considère longuement les corps tatoués de l’Occident actuel comme jouant et déjouant les références, faisant et défaisant l’identité. Thévoz y voit le geste d’une époque parodique annonçant sa disparition.

Pourtant, on peut se demander si parmi les pratiques contemporaines du tatouage il n’y a pas un aspect économique qu’il serait intéressant de souligner, beaucoup de jeunes diplômés des Beaux-arts y trouvant une voie d’expression et un moyen de subsistance en dehors des réseaux habituels de l’art contemporain, ses institutions, ses collectionneurs. Le tatouage est aussi un art sans formation calibrée, étatisée et où les autodidactes sont légion.