« Ma mère ne m’a jamais donné la main » nous offre une promenade photo-texte dans la mémoire d’un lieu hanté par une histoire familiale. Une recherche sensible menée en commun par deux créateurs aussi responsables de la collection Photoroman.
Ce nouveau livre est publié dans la collection Collatéral des éditions marseillaises Le bec en l’air qui y associe écrivain et photographe. Chaque projet images-texte définit son propre protocole ainsi que son mode de collaboration. Le projet peut se développer concomittemment en détournant par l’écrit d’Arno Bertina le script documentaire d’une erreur judiciaire avec des images d’Anissa Michalon qui en déclinent la véracité sous le « Numéro d’écrou 362573 ». Une enquête photographique de Frédéric Lecloux dans la fabrique institutionnelle du « Lit national » sert de support à Joy Sorman pour une méditation poétique sur les destins humains de la literie. D’autres formes littéraires déploient les univers singuliers de Marc Villard, Arnaud Cathrine ou Maylis de Kerangal, y répondent les mondes sensibles des photos de Catherine Izzo ou Ludovic Michaux.
Le dernier opus se place sous l’autorité écorchée vive de Violette Leduc qui lui donne son titre « Ma mère ne m’a jamais donné la main ». La quête mémorielle rédigée par Thierry Magnier connu aussi comme éditeur investit une maison d’enfance. L’image conçue par Francis Jolly orne la couverture parce qu’elle fut le déclencheur du texte.
Le narrateur nous conduit dans les dédales d’une ville abandonnée ; pour ce retour au pays d’enfance il se fait accompagner par son ami de toujours. Le récit fluide de cette reconquête s’appuie autant sur des sensations tactiles hautes en couleurs que sur un concert d’odeurs. Le cheminement de l’intrigue évite sans en accentuer l’effet les obstacles de souvenirs plus lourds, une main maternelle jamais consolatrice ou la chute mate d’un corps celui du père dans son vertige mortel.
Les photographies construites en palimpseste ne nous proposent d’abord que des surfaces usées par le grain du temps. Carrées elles cernent des espaces d’effacement ou d’oubli, leurs couleurs comme salies malgré leur séduction pastel semblent dialoguer les subtils gris des tirages d’Alix Cléo Roubaud.
La progression commune du texte et des images nous introduit à la présence d’autres personnages. Chez Francis Jolly ils ne sont que des figures indistinctes prises dans la matière évanescente de l’image. Quant à l’écrivain il crée le plus grand doute sur l’action égoïste puis négative d’une sœur jumelle allant jusqu’à remettre en question son existence même. La quête d’un lieu de vie à réinventer pour retrouver ses racines peut avoir à payer le prix d’une solitude prête à s’inventer une fratrie pour oublier la désertion parentale.