S’il est convenu de pointer les origines littéraires de la critique d’art , la tradition qui s’en est quelque peu perdu au XX° siècle a survécu grâce à quelques poètes ou écrivains singuliers comme Alain Jouffroy ou Bernard Noel. Bernard Lamarche-Vadel en reste un exemple des plus complexes, des plus exemplaires.
Le personnage est fascinant dans sa radicalité comme dans la constitution d’une œuvre dont la critique d’art n’est qu’un instrument au service d’une vision plutôt noire de la vie humaine, rachetée seulement par la création littéraire (la sienne) ou plastique (celle des artistes qu’il a défendu).Dans cette configuration triangulée le suicide comme performance ultime clôt l’œuvre et lui apporte signature.
Elles ne sont pas si nombreuses ces figures totémiques qui marquent un siècle en en accompagnant l’accomplissement dans la mise en perspective des enjeux philosophiques, sociaux et artistiques. En témoigne le double hommage reçu par Bernard Lamarche-Vadel, d’abord l’an dernier par le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris puis cette année par plusieurs partenaires actifs sur le territoire français. « Dans l’œil du critique » prenait en compte toutes les dimensions créatives de sa démarche à travers les rôles qu’il s’est donné collectionneur, critique d’art et écrivain. L’institution mettait en valeur ses choix menés dans l’exigence et souvent à contre-courant. Ceux –ci sont examinés avec la même variété dans « inclinations » mais en s’appuyant sur son rapport à la photographie. En effet ne peut on considérer que deux des titres de gloire de BLV comme on le surnomme est d’avoir introduit dans notre pays l’œuvre de l’immense Joseph Beuys et d’avoir donné une vraie place à la photographie en tant qu’art spécifique à part entière.
Né en 1949 il mène des études à Vincennes en sociologie de l’art où il suit les cours de Roland Barthes, Jean-François Lyotard et Gilles Deleuze. Lorsqu’il commence vers 1980 à s’intéresser vraiment à la photographie c’est après avoir fondé la revue Artistes qui connaîtra douze numéros de 1979 à 1982 et collaboré avec Alain Macaire pour Canal. Il commence sa propre collection acquérant pendant un an un tirage par semaine.Après son suicide en 2000 elle est déposée au Musée Nicéphore Nièpce de Châlon sur Saone.
A partir de ses choix esthétiques il rejette logiquement l’humanisme triomphant à l’époque et « les vieilles valeurs toutes réthoriques de l’émotion codifiée, constats truqués le plus souvent. » Tout au contraire dans les artistes singuliers qu’il a réuni au nom de l’Atelier Français » ce qui l’a intéressé « c’est de rencontrer le seuil, les seuils multiples de son propre aveuglement au monde. »
C’est autour de cette exigence qu’il a constitué aussi bien la collection de l’artothèque de Vitré dont il a été le directeur artistique de 1989 à 2000 que l’une des expositions phares du XX° siècle montée de novembre 98 à janvier 99 à la Maison Européenne de la Photographie sous l’intitulé « Enfermement ».
Ses textes critiques rédigés dans une langue flamboyante vont s’inclure peu à peu dans ses œuvres littéraires dont « Tout casse » en 1995 et « Sa vie son œuvre » en 1997 constituent des sommets.
Son physique, sa présence magnétique fascinaient ses proches, ses portraits aujourd’hui rassemblés à l’artothèque de Vitré sont scénographiés par Morgane Berthou avec une grande sensibilité proche de l’œuvre, des livres miroirs dialoguent avec des frises textuelles en spirale. Dans le livre – catalogue cette collection de portraits donne à sa première épouse Gaetane Lamarche-Vadel l’occasion d’un texte profond quant aux liens entre l’homme et son œuvre dont « l’enjeu n’est pas tant narcissique que de se survivre à soi-même, lumineusement dans le regard de l’autre, éventuellement de le toucher , de le brûler à son tour. »
Ces mêmes relations intriquées , cette spirale de fascination et de création ont donné à Michelle Chomette l’occasion d’inviter plusieurs des photographes de « l’atelier français » à donner un hommage en œuvres . Cela permet à Holger Trulszch de remettre en images un entretien filmé qui constitue une sorte de retrouvaille post mortem, entre hommage et règlement de compte . Dans le livre « inclinations » elles permettent à Arnaud Claass une brillante dissertation sur les pouvoirs et les marges de la photographie. Et la galeriste de conclure sur le destin assumé de BLV « il est devenu médecin , osthéopathe, acupuncteur de l’âme des images … »