Dans l’exposition SUITES au Louvre

Dans une salle rectangulaire, salle dite de la Maquette dans l’aile Sully du Musée du Louvre, sont accrochées vingt et une photographies.
Accéder à la salle, au risque de se perdre, demande d’emprunter des passerelles en bois, encerclant les ruines médiévales, et de parcourir un détour, comme si le trajet faisait partie de l’approche de l’exposition (ce qui ne l’est pas, évidemment), constituant ainsi une mise en condi¬tion préalable. Cette parenthèse ouvre le propos : ce que je vois n’est pas ce que j’ai vu et ce que j’ai vu n’est pas ce que je peux voir.

Découvrir l’ensemble de l’exposition d’un seul regard, à 360°, ques¬tionne le spectateur sur la nature de ce qu’il voit. Des peintures, des photographies, des vidéogrammes…
Ce sont bien des photographies d’une extrême minutie, au soin irréprochable de par leur exi¬gence, au rendu des détails si parfait que l’original situé plus haut dans le Dé¬partement des antiquités orientales est autre (voire invisible). Les échelles sont corrompues. Les œuvres sont réappropriées. « Les immortels » si géants deviennent « un travelling » de cinéma d’animation. « Le dompteur de lion » est réduit à un plan très serré, lui donnant pleine vitalité. Les mains et les pieds sont disproportionnés. Le détail du « génie bénisseur » apparaît comme une photographie d’accessoires de mode contemporaine (un sac et un bracelet). Ainsi, les photographies ne sont pas de simples reproductions d’œuvre d’art de la Mésopotamie et de l’Iran antique, mais un champ expérimental, une création originale. La question de la repro¬ductibilité des œuvres d’art et la référence aux écrits de Walter Benjamin sont toujours prégnants. Cependant, ce qui est d’autant plus pertinent : c’est que le regardeur réalise le chemin inverse, de la reproduction à l’original, tout en sachant qu’ici les deux sont créations. Le spectateur est, par conséquent, confronté à voir autrement ce qu’il connaît ou ce qu’il ne connaît pas encore (car il ira comme je l’ai fait, voir les originaux, base de ce travail) et à se poser des questions sur les potentiels magiques de la photographie. En effet, l’image est magie, n’en déplaise peut-être à son auteur, nourri d’autres références et guidé par d’autres itentions.

L’accrochage imprègne les trois murs en béton brut de la salle des maquettes comme une armure épousant un corps. En entrant, le visiteur perçoit des détails focalisés essentiellement sur les mains (5). S’il dirige son regard vers la droite, encore des mains (5 sur 6 ). En avançant vers la gauche, il voit, avant une hypothétique sortie dans le mur en pierres (le quatrième de la salle), un triptyque : le lion fermement maintenu sur le torse du guerrier est près à bondir (camaïeu de gris accompagné de blancheurs fantomatiques ; magie d’une lumière phosphores¬cente donnant vie aux sculptures et bas-reliefs), des pieds lourds, ancrés à la terre et l’envol de « l’homme de bronze » sans pieds. Cette dernière photographie est anecdotique : la couleur malachite et les ombres triplées ajoutent à l’ascension, à la lévitation, au sublime d’une œuvre qui n’est plus visible maintenant. Seul ce détail sous cet angle reste une trace de l’actualité des antiquités orientales de mai à mi-octobre 2007. Le caisson de vitres est vide. La photographie, elle est là, fragmentaire, elle essaie de maintenir un réel et paradoxalement, l’irréel prime. Clin d’œil muséographique. « Private joke » ?

De ce triptyque magnifique, le regardeur en tournant le dos à ce qu’il vient de voir, balaie des yeux une frise : peut-être, une série de photogrammes extraits d’un documentaire aux couleurs pastels (ressenti envisageable) sauf une, la dernière. Permutation. 21-11/ 11-21. Un jeu subtil de scénarisation visuelle semble prendre forme. Des règles peuvent être définies. Sur les 7 : des lignes horizontales (15-18) encadrent des lignes verticales (16-17). SUITES. Un travelling avec des temps forts (15 à 21), des cadrages centrés sur les mains (1,2,3 – 4 rupture – 5,6), des mains encore (de 7 à 10 sauf 11) et un triptyque (12,13,14). SUITES. 21 = 6 + 5 + 3 + 7. L’arithmétique d’une visite rend hommage aux civilisations fondatrices de cette science. Le regard s’éprouve dans le sens des aiguilles d’une montre. Sens d’une visite. Sens de lecture occidentale. Et, non de celui des pays où sont originaires les antiquités. Règles invalidées. Et tant mieux. SUITES.

Les légendes placées sous chaque photographie à gauche très près de l’image sont déterminantes : « Fine art » critique. Berceau d’une civilisation aussi fondatrice que celle des romains et des grecs, la latitude et la longitude des sites irakiens et iraniens rappellent instantanément l’actualité destructrice. Le discours critique s’intègre au Fine art, à la finesse des images et n’en est pas moins véhément. La légende comporte trois indications : la localisation géographique pouvant être confondue avec un numéro d’inventaire muséographique (mais les points cardinaux aidant… la confusion est vite dissipée), le titre et le pays.

L’art de Christian Milovanoff est idéologique et politique, esthétique et arithmétique.
L’ordre des adjectifs n’est pas anodin, il est à l’encontre du ressenti donné par le premier regard. Des nombres à la pensée, des émotions à la réflexion, le titre de l’exposition est « drôlement » bien trouvé… (même si les explications sur l’exposition donnent une autre in-formation au titre, en perspective avec d’autres travaux).

Le 15 novembre 2007