Dan Barichasse engage sa pratique picturale en 1976, il la développe par cycles qui évoluent à partir des mêmes thèmes de la mémoire et du temps. Il s’applique à titrer ses séries avec un grand sens du mot juste à consonance poétique. Ses créations expérimentent la fluidité des matières pour mêler le minéral, le végétal, l’animal et l’humain. Son livre Figures de l’invisible publié par Lienart en 2016 témoigne de la sensibilité de cette évolution. Retour critique sur son parcours.
Est ce peu dire que les oeuvres Minimales de 1980 ne m’intéressent pas immédiatement. Que l’ouvrage sur lequel elles s’ouvrent m’a obligé à y regarder à deux fois. Si ce n’est que leur structure duelle se trouve opérante dans d’autres séries ce que révèlera la poursuite de sa lecture. A y reporter un regard critique j’y ai vu la projection sur papier glacé de la double page qui structure l’idée supérieure du Livre. Est ce à dire que cette peinture serait d’essence littéraire ? A chercher un autre titre moins descriptif à cette série initiale on envisagerait facilement Entrée des matières, tant la dynamique ce double espace organise notre lecture du blanc de la marge gauche vers l’inscription à droite. Les formats évoluent ensuite du 18×24 du papier manuscrit vers les grandes tailles picturales des diptyques. Ce passage se double de l’arrivée sensuelle des couleurs.
Cette scène d’exposition débouche sur la structure polyptyque de huit peintures sur papier que l’artiste titre Paysage et qu’il précise : » Tableau : paysage mental, organisée en lieux de « vue », en espace de situations lumineuses, en surface de sensations. » Transformation colorée qui face Au motif devient Paysage/Signe.
Hérité du champ lexical du Livre le terme Entête, ouvre un nouveau chapitre. Dans ce magma de formes et de traits entremêlés de rouge, de noir et de blanc se déplace d’une toile de la série à l’autre, une sorte de silhouette vaguement humaine d’un gris rosé . Un corps plutôt féminin semble fuir à genoux. Bien que circonstanciel ce déplacement centrifuge ouvre la possibilité de l’apparition d’une Figure aux sources. Maintenant que ces matières se sont incarnées en figures corporelles la présentation peut s’ouvrir aux oeuvres les plus récentes, celles des deux dernières décennies.
Pour en comprendre la logique le retour sur l’histoire inspirée du Livre offre une alternative d’interprétation critique. Michel Mathieu tire l’oeuvre sur son versant spirituel : « J’en viens donc aux caractéristiques qui font de la peinture de Dan Barichasse une véritable conception du monde, et je retiendrai les trois suivantes :
L’interdit de l’image de Dieu,La création de l’homme (naître ou ne pas naître), Le chaos et le cosmos. ». A l’opposé Christian Noorbergen en explore le versant charnel, cellulaire et cosmique qu’il inventorie comme L’érotique des confins où il distingue « de ralentis élans pré-organiques et d’étranges apparences d’organes. »
Les deux interprétations font sens. Elles trouvent peut être à ses résoudre dans l’introduction de Pierre Ouellet qui définit son oeuvre comme « une cosmogonie et une théogonie réunies » qui s’inscrivent sur « le derme du visible ».
En termes d’oppositions on peut dans cette oeuvre discerner une composante obscure qui s’exprime dans les titres de séries telles que Ténébrisme , Nocturne ou Nuit Blanche , comme symbole du fond sombre de l’univers. Sur celui ci se détachent des mouvements fluides qui trouvent leur énergie dans des dynamiques comme Brisures, Rhizome, Déluge ou Buisson ardent.
Pour symboliser la volonté cosmogonique le peintre a recours à la forme circulaire et donc close du Tondo , bien évidemment cette rotondité où se lisent les mouvements fluides évoqués ci-dessus assume aussi les rôles de lunette de visée tournée vers le ciel mais aussi de l’objectif du microscope focalisé vers la vie intérieure des cellules. Quand le tondo se dédouble soit il assume lui même ce destin cellulaire mimétique du huit de l’infini, soit il génère un second cercle interne fonctionnant comme un microscope stéréo à tête monoculaire rotative. La seconde tête , celle de la peinture, fait focus sur la plèvre du réel, creusant les couleurs transparentes de l’infra-derme coloré du monde en mouvance.