Laurent Paillier est un des grands professionnels de la photographie de plateau. Depuis cinq ans il préparait en grand secret un projet ambitieux qui fait l’objet de cette publication d’une vraie exigence. Avec la complicité du critique Philippe Verrièle il a proposé à 11 chorégraphes de créer une pièce courte en hommage à l’univers d’un peintre ou d’un sculpteur de la modernité.
Tous ces créateurs en danse font partie de cette nouvelle génération née entre la fin des années 70 et le début des années 80. Certains ont choisi leur plasticien qu’ils connaissaient d’autres se sont vu passer une commande autour d’un univers pictural qu’ils ont découvert. Laurent Paillier aime se souvenir de sa jeunesse en tant que gardien de Musée au Centre Georges Pompidou où il a tout loisir de se passionner pour ces œuvres qui ont marqué l’histoire de l’art. A la même époque il est fasciné par les images de Jean Loup Sieff sur les pièces de Carolyn Carlson. Même s’il apprécie son métier et les grands danseurs qu’il côtoie et illustre il se trouve comme ses collègues tel Laurent Philippe soumis à un certain nombre de contraintes l’obligation de travailler sans flash en haute sensibilité, avec un reflex mais sans grand possibilité de varier la profondeur de champ et surtout sans réel opportunité de se déplacer librement.
En passant cette commande il s’agit d’une création unique réalisée en studio pour son seul Nikon D800 avec cinq flashs qu’il peut moduler.
La séance ne fait pas l’objet d’un enregistrement vidéo et ne sera pas rejouée. L’une de ses premières réussites s’est faite avec Eric Arnal Burtschy autour d’Yves Klein où les anthropométries sont rejouées avec une poudre d’or qui fait réapparaitre le motif du corps dansé sur fond noir. Si l’ensemble du projet constitue une vraie réussite il est clair que certaines approches dansées sont trop attendues , ainsi Arthur Perole en misant tout sur un socle fort quelconque pour évoquer Brancusi reste trop illustratif. Seule une image en contre-jour laissant le corps dans l’ombre soclée fonctionne en restant tellement en deçà des images d’atelier du sculpteur. Pour rester critique les superpositions du corps de Malika Djardi ne constituent pas un all over susceptible de nous restituer le foisonnement d’un Pollock d’autant que la prise de vue reste dans un plan trop large. Il était difficile pour Erika di Crescenzo de susciter la même violence des vieillissements maladifs d’un Rustin , là encore une seule image de la série y réussit.
Le sous-titre du livre « Pour une contre-histoire dansée de l’art » est évidemment dû à Philippe Verrièle qui comme à son habitude se pose en donneur de leçons, son introduction historique commence par le rappel que les liens peinture danse constituent un malentendu, ce que contredisent ses nombreux exemples dans l’histoire des deux arts, à commencer par l’incontesté apport de Diaghilev et des Ballets Russes. Si nous ne pouvons que nous accorder sur le fait que « cette histoire reste encore à écrire » il y contribue par ses textes bien documentés consacrés à chaque grand peintre en lien à la chorégraphie. Mais quand il conclue « Le performeur s’oppose au danseur en ce que le premier est l’homme banal et le second le héros dont on vient mesurer la virtus » il semble vouloir ignorer tout une partie de la création contemporaine tournée vers les nouvelles technologies, Dumb Type, N+N Corsino etc ainsi que les grands créateurs du gender comme François Chaignaud ou Steven Cohen.
Mais revenons aux réussites photographiques. Tatiana Julien dans ses jeux d’ombres portées invoque Kirchner. Les enveloppements textiles font de Leïla Gaudin une de ces poupées fragilisées célébrées par Louise Bourgeois. Les battles hip hop de Anne Nguyen structurent à la faon de Degottex le geste qui se dédouble. Les corps fantomatiques de Mélanie Perrier disparaissent dans le high-key d’un fond blanc. Perrine Valli dans un collage des couleurs de maillots, des carnations, des ombres dynamisés par des rubans colorés nous appelle à l’univers de Kandinsky. La plus grande fusion des univers dansés et picturaux est due à Kaori Ito qui fait la couverture dans un hommage dansé à Velickovic. Les traits de peinture ont l’énergie des dessins de Corbeaux réalisé in situ par Joseph Nadj. Lors d’une séance courte la jeune japonaise formée aux techniques Graham et Cunningham produit dans cette remarquable performance un équivalent à sa pièce « Island of no memories » qui assume une violence esthétisée propre au peintre yougoslave.
Les protocoles proposés par le photographe, la réelle implication des danseurs font de cet ouvrage le must d’une double création prenant la forme d’une performance critique qui contribue à l’histoire des relations déjà nombreuses dans l’histoire comme dans l’actualité des liens danse arts plastiques.