De l’œuvre au féminin et autres dialogues au Musée Sainte Croix

L’été nous offre plusieurs raisons de visiter le Musée Sainte Croix de Poitiers . L’exposition d’œuvres du XIXe et du début XXe siècle constitue une proposition aussi intéressante que problématique ne serait ce que dans son intitulé « Belles de jour ». Les différents rôles traditionnels de la femme en lien à l’art à l’époque moderne y sont recensés sous l’opposition du sous titre « femmes artistes, femmes modèles ». Une proposition dynamique et très actuelle de Raphael Zarka fait écho à cette proposition plus classique. Tandis que les collections archéologiques sont dynamisées par des œuvres du FRAC Pays de la Loire.

Quand la femme n’est pas muse inspiratrice ou prostituée occasionnelle (depuis Bunuel la belle de jour même aussi classieuse que Catherine Deneuve le demeure), toujours aussi charmante posant pour l’homme artiste elle a cependant gagné de haute lutte à cette époque en tant que peintre, sculpteur ou photographe le droit de se consacrer elle-même à l’art. Comme l’envisage avec humour Kees Van Dongen dans un tableau d 1920 la peinture est même pour elle Un passe-temps honnête (sic).

Les œuvres prêtées par le Musée de Nantes et celles de la collection permanente se mêlent pour dresser une situation idéologique via l’expression peinte et sculptée de divers types de femmes ayant inspiré les créateurs mâles, célébrités ou petit maîtres.
On a toujours plaisir à se trouver confronté à une œuvre de Sigmar Polke, seule toile contemporaine de l’exposition elle semble se rattacher à la thématique moderne en tant qu’hommage au Portrait de madame de Sennones dressé par Ingres.

Placée sous l’autorité de Tamara Lempicka dont le lumineux portrait de sa fille Kizette en rose de 1927 sert d’affiche, le choix nous permet de retrouver dans le Musée comme dans le catalogue des femmes peintres restées célèbres comme Marie Laurencin ou Sonia Delaunay, mais l’intérêt réside dans la découverte de créatrices moins connues. On peut s’attacher aux portraits comme en variation de grisaille de Romaine Brooks (1874-1970), on peut s’muser de la sensualité des Frivoles de Jacqueline Marol (1866-1932).
Deux petits tableaux produits à la cire sur bois par Valentine Cross-Hugo témoignent avec brio des relations entre peinture et chorégraphie autour du Spectre de la rose de Nijinsky en 1912.

Parmi ces découvertes émerge la personnalité de Sarah Lipska (1882-1973), formée aux Beaux Arts de Varsovie elle gagne la France en 1912. Elle y exerce des activités multiples de peintre sculpteur, décoratrice et couturière dans une attitude très moderne pour l’époque. Si l’on se souvient du portrait flou que Man Ray avait réalisé de la marquise Casati à qui elle confessait avoir photographié son âme on est heureux de redécouvrir ses traits inscrits avec sureté dans le bois par l’artiste polonaise.

Le dilemme posé à la femme en lien à la création artistique est très bien exposé dans les relations complexes et intriquées entre Camille Claudel et Auguste Rodin, petites sculptures et photographies rendent compte de leurs créations proches mais singulières. Il est important de revoir le duo de La valse de 1893 réalisé par la sculptrice pour se rappeler que cette petite sculpture avait fait scandale à l’époque par la nudité des corps et leur proximité intime.

L’exposition a le mérite de nous faire prendre conscience que les longs et durs combats pour une expression indépendante du féminin qui a commencé alors ne sont jamais gagnés alors que les actions violentes des intégrismes religieux catholique et musulman y apportent de nouvelles et dramatiques menaces.

La partie contemporaine de la programmation était assurée pendant l’été par deux dialogues l’un historique à travers les époques et l’autre culturel entre les œuvres d’art public et le skate. Raphael Zarka a construit le mobilier pour un skating park en intérieur dans la salle d’exposition temporaire en y confrontant des photographies à caractère international montrant l’appropriation sportive de sculptures monumentales réalisées par les plus grand sculpteurs et installées dans l’espace urbain. Les jeunes skateurs ont pu investir les structures de bois poli le soir du vernissage où une vidéo a été réalisée. L’exposition -12000 – 2016 réunit à l’initiative de Laurence Gateau des œuvres du FRAC Pays de la Loire qui au sous-sol du musée entrent dans un parfait dialogue avec les pièces archéologiques. On n’est pas étonné d’y retrouver Giuseppe Penone avec deux pièces dont une moins connue Les pages de terre 1 à 3 associant outils de jardin et terre cuite qui annoncent comme un archaïque work in progress .

Les départements archéologiques des musées de province se ressemblent souvent et l’initiative coordonnée des conservateurs et des responsables du Frac constituent une riche occasion de considérer autrement pour les non spécialistes ces pièces souvent classiques. La sélection joue sur le velours des rapports formels quand elle convoque des sculpteurs. Si ce n’est la vivacité des couleurs, les jarres de Johan Creten, céramique et bois de 1997 dédiées Aux Filles d’Ostia entretiennent le doute sur leur datation entre l’archéologique et l’actuel. Les Colonnes gémellaires en bois et polyester de Toni Grand datant de 1982 font une escorte très solennelle à la Vénus devant Pâris d’Aimé Octobre de 1938.

Les liens plus ténus obligent à une lecture vraiment subtile des pièces anciennes et de leur contrepoint récent. Ainsi les séries de dessins de David Tremlett A work for the dormitory riches de signes et de mots ajoutent au rébus artistique à résoudre par delà les siècles qui les séparent.

Tous les arts plastiques sont ici représentés cela nous donne l’occasion d’admirer l’autoportrait sculptural en diptyque de David Seidner. Ou la prestance d’un ecclésiastique, prélat de la curie romaine, profilé en fort contraste par Eric Poitevin. Une vidéo de l’américaine Anna GasKell Erasers de 2005 installée entre deux urnes funéraires nous entraîne dans une fiction dont les multiples voix contredisent les versions en effaçant tel ou tel aspect de l’histoire initialement rapportée par l’artiste à des jeunes femmes.

Les artistes retenus sont de toutes provenances géographiques. Aurélien Froment venu de la région Poitou installe une série de cloches à animer par le vent qu’il suspend au dessus des fondations gallo-romaines restées intactes, elles font référence à la cité idéale de l’architecte Paolo Soeri et redonnent une résonance quasi intime au site.

S’il est un artiste trop rarement montré en France c’est bien le belge Johan Muyle. Invité en 1990 dans le cadre des ateliers internationaux du Frac il y a réalisé plusieurs de ses « machines », deux d’entre elles sont ici installées dont Eh bien dansez maintenant dont le cartel nous révèle toute la subtilité puisque cette petite œuvre comprend : »Plats en céramique, eau, santons, roues, ampoule, moteur et matériaux divers, caisse de bois et boites en fer blanc. » Son iconoclasme de bon ton fait toujours plaisir à voir. Les deux santons, figures féminine et masculine, poursuivent ce beau dialogue amorcé dans tout le Musée.