Le jaune vif du mimosa et des jonquilles, le violet sombre des lilas, les mauves bleutés et chatoyants des iris, le rouge écarlate des coquelicots… toute la gamme des couleurs qui s’épanouissent dans les fleurs crée un langage dont l’harmonie a séduit les peintres. C’est dans cette lignée que l’art de Michel Canteloup se place.
De la beauté adhérente aux beautés irréelles
La délicatesse et la vibration des couleurs qu’il utilise, dont il tient à réaliser lui-même la pigmentation, et la précision des gestes qui allient dessin, peinture et collages attirent le regard pour mieux le divertir afin de l’amener vers un espace onirique situé au delà des charmes que nous offre la nature. Parmi ses oeuvres exposées, on découvre des fleurs hybrides, de monstrueuses chimères sans équivalent qui adviennent virtuellement comme les “absentes de tout bouquet” dont parlait Stéphane Mallarmé. Car leur référent dans la réalité s’efface de ses étranges créations imaginaires : il disparaît au profit d’une autoréférence où l’art rivalise avec la nature pour lui subtituer des beautés irréelles qu’il invente.
Michel Canteloup a toujours été attiré et séduit pas ce que Kant avait nommé la “beauté adhérente” – celle des pierres, des coquillages, des plumes d’oiseaux, des ailes de papillon, et il est passé maintenant à celle des fleurs. On pense devant ces créations à la débauche de couleurs vives du sulfureux Jardin des Supplices d’Octave Mirbeau (1899) dans lequel ce romancier et critique d’art, grand ami de Claude Monet dont il a célébré le jardin, s’épuise dans des descriptions de fleurs somptueuses.
Déconstructions savantes
La sensualité omniprésente de ce travail suppose cependant, au delà d’une imagination en verve, une élaboration précise. Les grandes peintures, d’esprit parfois japonisant, manifestent d’une manière plus abstraite les mouvements de croissance et d’épanouissement qui sont le propre du monde végétal : entre une montée horizontale et un déploiement vertical se créent des sinuosités fluides, des entrecroisements, des lignes brisées et des plans qui sont superposés de manière complexe où le regard peut se promener longement, comme dans une rêverie. Techniquement, Canteloup procède par des recouvrements successifs avec des collages de ses propres oeuvres réalisées antérieurement ,de telle sorte que l’espace pictural se détache sur un fond qui l’aère et qui le fait vibrer – une technique de collage d’oeuvres qu’il a d’abord déconstruites, puis recréées, qui avait été employée un temps par Jean Dubuffet. Ce jeu avec des possibles, cette sagacité ou cette science des assemblages produit chez le regardeur un plaisir de la découverte en le faisant entrer dans le travail de réalisation de l’oeuvre.
La série des oeuvres – peintures et lithographies – que propose cette exposition fait souffler en avance un air de printemps au Palais Royal dans la galerie Susse frères, à la plus grande joie de ses visiteurs.