Dernières nouvelles du quartier

Anne Immelé, s’est rendue régulièrement au fil de l’année 2019- 2020 au Nouveau Drouot, ensemble d’immeubles du quartier Drouot en périphérie du centre de Mulhouse. Le livre Oublie oublie, est la trace de son passage, de ses rencontres et s’inscrit dans le travail sur la mémoire qui traverse son œuvre depuis ses débuts.

Oublie, oublie, le ronronnement des voitures qui se garent, les gamins qui chahutent en contre-bas de ta fenêtre, les bruits de couloir entre les immeubles, les voisins qui te racontent leur vie et ceux qui ne te saluent pas, oublie, oublie, la vie qu’il y a eu là, le cerisier japonais et les voitures cramées, oublie, oublie ce quartier voué à la démolition, où certains vivent depuis soixante-ans, où le tram ne passe pas, où les appartements ne sont plus reloués, où les fenêtres sont murées, où la MJC a fermé.

Bien sûr, la photographie retient le temps et donne à l’autre à voir une autre réalité que la sienne, réalité proche ou lointaine selon où se situe le regardeur dans le jeu social. L’histoire du Nouveau Drouot participe de celle des grands ensembles français, entre l’utopie d’après-guerre et la désillusion contemporaine, les stigmatisations médiatiques aussi qui aurait tendance à faire croire que ces lieux ne sont que de misères et que pauvreté ne rime qu’avec violence ou au contraire favorise le romantisme de tous poils, de la figure du gangster, à l’esthétique des portes arrachées.

Tout ce ceci est toujours mêlé, et l’on s’est souvent interrogé sur le point de vue du photographe humaniste à l’égard des photographiés. Toujours est-il qu’on vit là, comme partout et que le regard se pose toujours sur tout un chacun et qu’il y aurait aussi de la condescendance à ne pas accorder jeu, plaisir et libre-arbitre à celui que l’on photographie en le réduisant à sa situation économique.

Oublie oublie n’est pourtant pas un livre sur la banlieue en tant que catégorisation sociale, mais plutôt un livre sur un lieu qui a été vivant et fréquenté et qui ne le sera bientôt plus et l’on s’en remet pour ce voyage à la sensibilité du regard d’Anne Immelé, à sa capacité d’enchantement, à ses images en noir et blanc sur papier mat, où rôde la mélancolie, à son incroyable capacité à photographier l’humain sans jamais rendre quiconque ridicule ou ordinaire, à frôler l’abstraction lorsqu’elle se confronte à l’architecture sans jamais quitter la narration, et puis il y a ses images qui ponctuent le livre qui pourraient avoir été prises presque partout et presque de tout temps, une fenêtre suspendue sur le dehors aux herbes folles, le passage du soleil devant un énigmatique hublot. Oublie oublie est sans doute un livre sur le souvenir qui se poursuit quand le réel n’est plus, comme sur le rêve que chacun poursuit les yeux ouverts.