Martine Mougin a réuni à l’espace Topographie de l’art un ensemble d’artistes qui déploient de multiples fils de réflexions et des expériences à partir de leur intérêt pour l’abeille. Ils regardent cet animal pour ses caractéristiques physiques, pour ses capacités à construire son habitat et pour les matières qu’il produit et que l’homme utilise ensuite. Nombreux artistes de cette exposition travaillent en collaboration avec des apiculteurs et apprennent à connaître la façon de vivre de cet insecte. Au travers des œuvres se lisent les relations entre l’homme et l’abeille.
L’espace Topographie de l’art est baigné d’une odeur de cire qui introduit une relation à cette matière et à sa transformation. Puis, les œuvres ouvrent vers une multitude de perspectives, historiques, botaniques, sociologiques et écologiques. Yves Trémorin présente Soleil Noir N°16, une série de photographies qui révèlent la somptuosité du corps de l’abeille. Céline Cléron s’est intéressée à la capacité de cet insecte à produire des formes. La Régente joue sur une double dimension artisanale, celle de l’homme et celle de l’animal. Elle a laissé des abeilles ouvrières construire les alvéoles d’une ruche autour d’une collerette de tissus. L’œuvre incarne le temps, celui du travail délicat de la dentelle. Son titre polysémique fait écho à l’image de la Reine. Sur une table basse, les sculptures en grès imposantes Community One et Community Two de Jochen Creten attirent notre curiosité par leur aspect anthropomorphique. Elles paraissent provenir d’une architecture. Leur forme fait en effet écho à celle des ruches traditionnelles flamandes.
Le lien avec le monde agricole et l’élevage des abeilles se retrouve dans les œuvres de Michèle Cirès-Brigand. À partir d’une médaille familiale retrouvée, l’artiste est allée sur les traces de son père apiculteur, a mené son enquête et a brodé sa mémoire. Garanti pur réunit photos, collages, objets : témoignage de souvenirs qui se recomposent. En parallèle, elle a porté son regard sur les végétaux du paysage agricole et les a représentés à l’aide de cire d’abeilles et d’encres de couleur.
D’autres artistes nous invitent à regarder autrement les abeilles et saisissent leur déplacement. Olivier Perrot, qui travaille depuis quatre ans avec un apiculteur, présente sa série Le dernier vol. Martine Mougin, elle aussi avec sa série Bees Stay with us, a capté le mouvement des abeilles. Ses photographies, prises à contre-jour, suggèrent un rythme, une partition. Chasseur-cueilleur, Erik Samakh a mené encore plus loin sa démarche centrée sur le sonore et sur notre relation au vivant. Il a installé des ruches et observe la vie de abeilles et des autres insectes. Il a réalisé un panneau solaire suite à sa découverte du frelon asiatique. Mécanique, cette œuvre sollicite notre attente d’un mouvement et des vases de forme organique contiennent le miel qu’il a récolté. Essaim n°1, une branche de frêne écorcé, conduit le spectateur à une expérience d’écoute. Cette sculpture nécessite l’isolement pour être saisie pleinement.
Evelyne Coutas interroge l’éphémère, la transformation et comment la matière peut être créatrice de forme. Elle a laissé le soleil fabriquer ses images. Attrape-cœurs sont des photographies instables, qui ont évolué au fil du temps et des phénomènes naturels. Réalisées à base de miel et imprimées sur calque, celles-ci font directement référence aux produits que nous concevons grâce aux abeilles, elles-mêmes, bâtisseuses de leurs habitats. Ce parallèle entre les abeilles et les humains dans leurs manières de construire la ville est d’autant plus présent au travers des œuvres de Laure Tixier. Elle a établi un parallèle entre le système de construction des abeilles et l’urbanisme des grands ensembles. Formes collectives interroge notre manière d’organiser la ville et de vivre ensemble. L’artiste compare les grands ensembles à des ruches. Ses aquarelles Les ruchers (rucher des Amiraux, rucher de la Cité Radieuse, rucher du Val Fourré), d’un trait d’une grande finesse, évoquent cette architecture témoin d’une époque, qui aujourd’hui disparaissent. En utilisant la cire comme matériau pour ses maquettes, elle témoigne du caractère fragile de ses immeubles, machines à habiter. Une sculpture, ruche habitable, est pour l’artiste, un mémorial pour rendre hommage à une de ces tours, actuellement disparue. Chez Isabelle Lévénez et Jeroen Eisinga, le corps est mis en avant. L’abeille, cet animal dont on a une mauvaise image, marque sa présence sur notre sensibilité dans des conditions, parfois extrêmes. Vidéos et photographies permettent une compréhension de notre propre corps.
D’autres artistes s’intéressent également à la matière cire, pour tous ses possibles. Le vitrail composé de cire d’abeille d’Emma Bourgin capte la lumière. Au sol, Sous les pavés la sueur, une installation de pavés recouverts de cire répond à l’architecture du lieu, marqué par son sol de pavés. Telles des coques, la cire cette matière séchée devient une arme ou une protection pour la pierre. Peut-être trop près, jouant de ce même rapport entre le sol et le plafond, deux masques suspendus d’Emma Dusong libèrent des larmes. L’un en cire d’abeille pleure du miel, tandis que l’autre en bronze, de la glace. Poétique, cette œuvre suggère la fragilité du vivant, aussi bien des abeilles et du paysage de la montagne.
Ainsi, cette exposition nécessite de prendre le temps de découvrir le monde de l’abeille. Celle-ci constitue un indice sur l’état de notre environnement, de ses changements ainsi que sur la fragilité de la nature, du vivant. Les artistes nous amènent à regarder cet insecte pour sa capacité de création et d’organisation d’un système de vie. Sa complexité physiologique ainsi que ses comportements inspirent les artistes, qui apprennent à les connaître. Cet animal est un modèle pour comprendre les déséquilibres des paysages et de notre société.