Des images fragiles comme la santé mentale

Hélène Tilman use humblement de sa condition de femme artiste comme d’un passeport auprès des plus démunis. Diplômée des Beaux Arts de Paris elle approfondit sa démarche par un master qui approche l’esthétique de la maladie mentale dans l’histoire de l’art. Sans aucune vocation d’art thérapie sa pratique donne juste à partager ce qui fait douleur intérieure, restaurant un respect que l’institution ne prend pas toujours en charge, faute de moyens.

La photographe donne d’abord tout son temps à la rencontre ,puis aux séances d’images qui s’en suivent, plus partagées que vraiment prises, jamais volées. Dès ses débuts elle se dédie à de très dignes « Portraits aux cicatrices », celles de l’âme.

Si le rêve a dans son travail une vocation curatrice elle en a éprouvé les dangers dans la mise nue de ses autoportraits en pied au cœur d’une ville actuelle, héritière des passages de Walter Benjamin où elle semble vouloir hanter les rues des petits matins d’Eugène Atget. La duplicité des images de sa série suivante « Faire des rêves » matérialise les attentes restées floues et l’isolement social des banlieusards de différentes générations.

Le chemin de la banlieue croise ensuite, pour elle, les associations et institutions qui vont la mettre en relation avec les déjà exclus, les jeunes patients puis les malades sans âges. Elle réalise ainsi en 2010 sa série « MSB » dans une clinique psychiatrique de Meudon. Loin de la théâtrale économie gesticulatoire dont témoignait « San Clemente » du temps du grand Raymond Depardon, Hélène Tilman préfère la proximité intime de l’échange du portrait et les plans serrés au quotidien de l’enfermement chimique.

Chaque branche de son projet général s’ouvre d’abord sur une série positive qui lui permet de développer son processus de création et ses protocoles. Ainsi « Dédicace » se construit en portraiturant sans leur imposer d’attitudes des artistes du hip hop. Mais si leurs gestes et figures acrobatiques sont restés hors champs c’est la gestuelle complexe de l’épuisement ou des tensions internes qui constituent le vocabulaire le plus convainquant des dernières productions. A l’atelier Flora Tristan dans le vingtième arrondissement de la Capitale, les collégiens en difficulté avec l’Ecole se laissent photographier dans la nonchalance de leur pose d’écoute flottante d’où, « Nuances », émergent seuls des regards perdus.

Le mouvement s’amorce au « Présent » des photographies des jeunes cancéreux de l’Institut Gustave Roussy. Camouflé dans sa tenue de Spiderman Hassan est prêt à (re)bondir. Cachant son crâne dévasté par la chimiothérapie Kamilia se (re)fait une beauté d’adolescente avec une perruque pour affronter les regards. Le doux regard confiant de Josias, moins de dix ans, est paraphé par le début de chorégraphie de ses mains (ré)ouvertes vers le monde.

Le dynamisme de l’ensemble se double du fait que les photographies sont toujours scénographiées : dans une boîte tissée d’un drap réglementaire, dans une brume artificielle, ou dans l’environnement bruité d’ambiances, d’entretiens et discussions avec patients et soignants.

AU CHS Vauclaire en Dordogne l’artiste passe de longs séjours depuis trois ans. Si son titre regrette qu’ « Ici le temps s’arrête » elle utilise le stratagème des diptyques pour recréer d’autres liens temporels à réactiver. L’une des images reconvoque le passé du lieu : monastère au cloître déserté, asile d’aliénés dans les brumes périgourdines et demeure trop bourgeoise pour cet actuel hôpital psychiatrique. L’image en duo se focalise sur l’apnée d’un geste où se nouent toutes les tensions psycho-physiologiques :
doigts de pied en marteau, phalanges crochetées sur la souvenance d’un traumatisme, rire à gorge déployée jusqu’à l’aube d’un cri.
Quand le diptyque semble vouloir signifier la confusion à blanc de la prière et des médicaments comme seul horizon il n’y a plus vraiment non plus d’espace dans le ciel bouché. Mis en tableaux les gestes désespoirs des plus dépendants ne chorégraphient plus qu’une danse générale de la douleur où toute identité se perd. Hélène Tilman ne peut y apporter que sa délicate signature de plasticienne sur ce documentaire compassionnel.