Machines célibataires, machines à histoires, Dream machine. Dans son livre « Liparo, The story of a brushing peach », Petros Efstathiadis photographie des machines qu’il a lui-même réalisées, comme autant d’agencements d’objets accumulés dans le village familial situé en Grèce, à la frontière macédonienne. Les machines de Petros Efstathiadis entretiennent ainsi une relation particulière avec le territoire où elles prennent forme, sont immortalisées puis détruites.
« L’inconscient ne délire pas sur papa-maman, il délire sur les races, les tribus, les continents, l’histoire et la géographie, toujours un champ social »
Gilles Deleuze, Pourparlers, 1972-1990, 1990, rééd. Minuit 2003.
En regardant les photographies avec attention, on comprend rapidement que ces machines sont des sculptures, avec leurs formes et leurs couleurs merveilleuses qui se répondent. Ce ne sont pas des machines utiles, mais grandioses et vulnérables à la fois. C’est un monde qui se déploie sous nos yeux, le fonctionnement impossible de la machine devient le point de départ de la fiction et par conséquent de la distance nécessaire qu’implique toute narration à l’égard de la réalité vécue. Liparo est le village de la famille de l’artiste, aussi l’on peut voir son geste comme une manière de prendre et de donner des nouvelles de la vie du lieu, une façon de s’y ancrer à son tour par sa création, ou encore une forme de revendication de l’origine et de la nécessité d’assumer la dette que l’on pense avoir envers ceux que l’on a quittés. « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or », écrit Baudelaire dans Les Fleurs du mal.
Face au geste de Petros Efstathiadis photographiant des machines réalisées avec des objets usagés et des déchets, l’œil se laisse facilement aller à l’interprétation psychanalytique. Or bien sûr, la psychanalyse s’appuie fortement sur les mythes de la Grèce antique et c’est là que Liparo fait rupture, il n’est pas question comme le dit le texte de Raphaëlle Stopin en préambule de l’ouvrage de perpétuer l’iconographie d’une Grèce classique devenue elle aussi mythique, notamment avec le philhellénisme occidental. C’est la Grèce d’aujourd’hui, rurale, marquée par la crise européenne, où pointe la révolte et la résistance, un espace singulier que l’auteur prend le temps de regarder par ses objets les plus quotidiens, pour mieux nous y faire voir cela même et autre chose, une réalité onirique masquée derrière l’ordinaire, une surréalité, où surgissent également des personnages aux costumes énigmatiques et aux visages rendus souvent anonymes par des masques de fortune.