Guillaume Holzer par son activité professionnelle a été amené à rencontrer l’humanité dans ce qu’elle a de multiple, complexe et primordial. Huit ans de vie avec les nomades des mers indonésiens, mais aussi des études d’économie, une activité professionnelle dans une ONG ne pouvaient que contribuer à forger une éthique du monde toute personnelle et complexe.
De son premier travail photographique, Territoires Nomades, réalisé à la gomme bichromatée, Il dit : « Le nomadisme symbolise la liberté physique et intellectuelle, le processus de libération des contraintes territoriales ou idéologiques. Il représente une résistance à l’enracinement et une ouverture à la fluidité et à la transformation. » et fondamentalement sa réflexion mène à celle, plus vaste, de la réalité du territoire vécu/perçu, de la réalité de ceux qui y vivent. Nous (les sociétés, les gouvernements) avons nos propres regards sur les espaces que nous habitons, au sens large du mot, mais nous sommes dans l’incapacité de comprendre que notre vision n’est pas unique. La différence de sens lorsqu’on appréhende un lieu, un mode de vie, conditionne la façon dont nous le comprenons ou pas.
Depuis la querelle entre Abel et Caïn, il est acquis que le sédentaire serait « supérieur » à celui qui ne l’est pas. Les sociétés occidentales, l’économie libérale, hyper connectée, hyper reliée, hyper internetisée, ne comprennent et n’acceptent pas plus le nomadisme pratiqué depuis des milliers d’années par certaines populations. Le modèle capitaliste a bien inventé l’étrange concept de digital-nomad, mais ce n’est qu’une manière de laisser penser que la liberté existerait sans devoir s’affranchir d’un smartphone et d’une connexion internet. Hélas, il semble que ce soit un leurre. Dans le même temps, les peuples indonésiens de l’archipel du Komodo vivant de leurs voyages maritimes faits de pêche et d’échanges perdent peu à peu leurs espaces vitaux, de travail. Les fonds sont détruits, le réchauffement climatique a des impacts certains, la modernité aussi. La territorialité s’appauvrit, la culture ancestrale aussi au profit d’une culture mondiale et globalisée. Les images de Guillaume témoignent pourtant de quelque chose qui est hors du temps. Les gestes sont répétés depuis des centaines d’années, les lieux vécus de même. Et si la modernité transparait dans les vêtements par exemple, elle n’est qu’adaptative, nécessaire mais pas superflue.
Partant de là se pose une question fondamentale : quelle morale guide actuellement l’humanité ? Et celle-ci a-t-elle quelque chose d’universel ? La question contient en elle la réponse : il est bien évident que les morales sont fluctuantes, aux frontières floues et mouvantes. Avec Géologie de la morale, qui n’est pas une suite de Territoires Nomades, mais plutôt un prolongement réflexif, Guillaume s’intéresse à cette stratification de la morale sociale et personnelle.
Des rocs immobiles, de l’eau de glace fondant peu à peu, les statues immenses de l’île de Pâques sentinelles étranges d’une civilisation engloutie, des escaliers à flanc de montagne descendant vers un gouffre, mais aussi des arbres tordus par le vent, les plissements herculéens des roches : ce qui compose cette série est tout aussi immuable que fragile, tout aussi vertigineux que labile. Tout change, les Hommes aussi. Il y a eu les bouleversements inimaginables des milliards d’années avant que le moindre signe de vie ne fasse apparition à la surface de la Terre. Certaines espèces sont nées, ont conquis les espaces, ont disparu un jour. D’autres les ont remplacées. Les montagnes continuent à se mouvoir sur une écorce terrestre fluide, les peuples colonisent, détruisent, créent. La Terre est devenue un grand jardin où nous avons pris un peu trop nos aises, oubliant que notre existence n’a pas plus de durée qu’un claquement de doigts.
Géologie de la morale invite à reconsidérer cette stratification, à chercher dans l’existant ce qui a existé et ce qui existera. Et par la même à reconsidérer un instant notre place.
Il s’agit ici d’une forme d’écologie mentale, plus encore que d’une écologie du territoire. Nos constructions de béton ont-elles plus d’importance qu’une méduse ? Le buron de pierre ancestral est-il moins nécessaire que les digues ? Difficile de trouver dans les images du photographe autre chose qu’une invitation à dire non et à se questionner sérieusement sur nos visions du monde.
Avec ces deux travaux, le photographe ouvre une autre dimension : celle du regard que portent les Hommes sur les espaces qu’ils habitent, exploitent, colonisent. Que ce soit les pêcheurs de Territoires Nomades ou les rochers de Géologie de la morale, sa lecture est décentrée et laisse la part belle à une réflexion profonde.
L’artiste ne nous impose pas de formules toutes faites, un prêt à penser indigeste et normatif. Non. Il se contente de distiller son regard, ses tirages aux tonalités anciennes représentant des scènes ou des lieux qui auraient pu être qualifiés de modernes et nous laisse seuls juges et arbitres de nos propres choix moraux et éthiques.
Avons-nous besoin de coloniser plus encore la Terre ? De détruire plus encore des cultures qui sont plus vieilles que nos propres ancêtres ? Avons-nous besoin de cette modernité à tout prix ?
Chacun fera son choix, prendra ses propres décisions et agira en son âme et conscience
Simplement, le photographe lui aura fait son travail, méticuleux et précis, de questionner, de saisir et de montrer ce qu’il voit. Il aura été archéologue et géologue d’un monde qui est en perpétuellement mouvement.
Guillaume Holzer est un artiste dont la pratique transcende les frontières traditionnelles de la photographie et du pictorialisme pour se concentrer sur l'exploration de la matière. Son travail se distingue par une approche artisanale, où chaque tirage devient une œuvre unique, façonnée par des émulsions photosensibles appliquées à la main sur divers supports. En tant que photographe autodidacte, il a cette liberté de s’emparer du médium de manière aussi significative que créative. Les techniques de développement qu’il utilise, à base de bichromate de potassium, appuient son reportage au long cours afin de mettre en relief la pêche au cyanure de potassium, pratiques qui repose principalement sur le commerce du poisson vivant, une industrie dont la valeur mondiale est estimée à 1 milliard de dollars. Par ailleurs, ce choix délibéré de traitement pour son premier travail photographique sur le nomadisme — avec les images rapportées des îles de Komodo et de ces communautés millénaires — permet d’une part d’obtenir une ambiance intemporelle dans un travail documentaire pourtant actuel, et d’autre part, de figer le mouvement dans la matière.
Le site de Guillaume Holzer