« Designing Dreams, a Celebration of Leon Bakst »

« Designing dreams » célèbre l’œuvre de Léon Bakst, décorateur, costumier et peintre de génie, dont on fête cette année le 150e anniversaire de la naissance. Placée sous le commissariat de Celia Bernasconi et de John Ellis Bowlt, elle se concentre sur sa collaboration avec les Ballets russes, intimement liés à l’histoire de Monaco, et sur la dimension ornementale de ses créations, réévaluée à sa juste valeur. Au-delà des collections monégasques et parisiennes, elle rassemble des pièces empruntées à des collections internationales (de Londres, Baltimore ou, de façon plus étonnante, Canberra), redonnant enfin à Bakst la stature internationale qu’il avait acquis de son vivant.

Comme à son habitude, le musée y a associé le regard d’un artiste contemporain, ici Nick Mauss qui en bonne intelligence a préféré créer des décors dans les décors, dans le plus grand respect de l’œuvre de Bakst. Le plasticien a ainsi placé dans chacun des espaces des pages de la revue Comœdia illustré, contemporaine de Bakst, intégralement reproduites à la main et agrandies à l’échelle humaine. Elles se substituent aux cartels et accentue le parti pris ornemental, leur taille permettant de mieux apprécier le raffinement des illustrations à l’aquarelle ou la complexité des frises. Deux autres pièces subtiles complètent cette intervention : des rideaux coulissants et automates, dont la chorégraphie trouble la circulation d’une des salles, crée des jeux de voilement et apporte une touche dramaturgique à la visite, mais également d’immenses drapés pochés à la main disposés dans l’escalier, reprenant les motifs de tissu imprimé, commandés à Bakst à la fin de sa vie, aux influences africaines et amérindiennes.

Richement illustrée et finement pensée, « Designing dreams » dessine un parcours entre plusieurs ballets phares sur lesquels a travaillé Bakst : Shérazade, L’après-midi d’un faune, Le Spectre de la rose, Daphnis et Chloé, Ivan Le Terrible, La Belle au bois dormant, sa dernière collaboration avec Diaghilev pour lequel il réalisera les trois cents costumes, le livret et les décors. L’exposition rend ainsi compte de la démesure de sa production, à la hauteur de celle de son imagination, consolidant les liens entre le dessin de Bakst, la plasticité de ses rêves et le dessein qu’il s’est offert grâce à eux.

« Designing dreams » fait la part belle aux costumes et au travail du motif, marqués par leur orientalisme et une géométrie triangulaire caractéristique. Parmi les pièces rares et remarquables, présentées volontairement telles des reliques, le costume de faune de Nijinsky en roses de soie (dialoguant avec la rose du Spectre et la roseraie du jardin du musée) ou la couronne cornue de Serge Lifar, découvert par hasard dans le fonds du palais princier. La scénographie et le soin apporté à la lumière sont au service du regard du visiteur, qui peut se permettre d’être scrupuleux, de prendre le temps d’apprécier les détails vertigineux de ses créations. La salle consacrée aux douze manteaux d’Ivan Le terrible de Raoul Gunsbourg, tout comme l’imposant costume de la fée Carabosse font d’ailleurs la part au raffinement exceptionnel du travail de Bakst.

Du stylisme vestimentaire au dessin, l’exposition jette des ponts entre ces deux formes de design. La salle consacrée aux œuvres graphiques permet de mesurer la technicité de son trait, la diversité de ses influences et l’étendue de son univers fantasmagorique, peuplé de poupées, de monstres et de personnages de contes. Pour ce fin coloriste, qui sait aussi figer le mouvement dans toute sa volupté, la figure a autant d’importance que les motifs de fond ou ceux des accessoires. L’exposition est l’occasion de prendre conscience de la modernité visionnaire de Bakst (dont les motifs sont très proches de ceux de Matisse ou de Viallat). Ces dessins d’exceptions, tout comme les maquettes présentées en regard, permettent rétroactivement de jeter un regard plus pictural sur ses productions scéniques, particulièrement celles pour le Le Spectre de la rose et L’Après-midi d’un faune décrits comme des « tableaux chorégraphiques ».

A travers une sélection intelligente, « Designing Dreams » met en place de féconds aller-retour entre les œuvres textiles et graphiques, leurs inspirations et leurs postérités (à ne pas manquer, la collection « Bakst » de Saint-Laurent en 1991) pour éprouver les survivances de Bakst à travers les âges, et donner à ses rêves leur part d’éternité.