Dominique Angel, texte supplémentaire

Les sculptures de Dominique Angel sont exposées à Marseille dans la galerie de Vidéochroniques jusqu’au 12 juillet 2014. Sans constituer une véritable rétrospective, le parti-pris de cette manifestation a été de réunir des pièces de différentes époques parfaitement à cheval sur deux siècles : 14 ans avant 2000, 14 ans après. Neuf pièces ont été terminée avant l’an 2000, cinq autres, commencées pour deux d’entre elles en 1998, datent du XXI siècle.

Disons-le tout de suite l’ensemble est parfaitement cohérent ; il faut soit bien connaître le travail de cet artiste, soit lire les dates de la liste des œuvres pour se rendre compte des écarts de temps existant entre les différentes créations. Cela montre combien sur la durée, au travers d’une production multiple, Dominique Angel maintient une cohérence et une sensibilité plastique qui lui sont propre. Tout au long de sa vie, il a pratiqué avec succès la peinture, le dessin, la performance, la photographie, la vidéo, l’écriture, le son et bien sûr la sculpture comme on peut s’en rendre compte dans cette exposition. Une majorité des créations a pour titre Pièce supplémentaire ce qui signifie bien sûr que la nouvelle œuvre vient « s’ajouter pour parfaire un tout », elle complète la suite ; elle est comme un surplus, un « supplément » venant s’ajouter à une chose qui, un moment, a paru complète mais qui, pour l’artiste, souffre toujours d’un manque. Le terme supplémentaire convient aussi pour certaines œuvres qui admettent des transformations dans le temps par adjonction d’éléments selon les lieux où elle est exposée. On comprend dès lors les durées étendues signifiées dans les cartels pour certaines pièces présentes dans l’exposition, comme 1998-2014, 2010-2014, etc., et que complètent parfois des précisions indéfinies : matériaux divers, dimensions variables. Oui supplémentaire fait référence à une continuité de la vie : celle des pièces comme celle de leur auteur.

Dominique Angel ajoute des créations volumiques les unes au autres, un peu comme il ajoute pour ces pièces les éléments et les matériaux les uns aux autres. Il ne produit pas des sculptures façonnées par retraits, gravures, entailles dans une matière dure mais produit des volumes à partir d’un travail de façonnage puis d’assemblage de matériaux souvent hétérogènes.
L’exemple pourrait être cette Pièce supplémentaire, 2009, où à partir d’une base en bois sont empilés des ours en peluche de différentes tailles jusqu’à constituer une colonne de près de quatre mètres de haut. Sertis par des liens de plâtre ou de plastique toutes ces peluches récupérées servent de socle à un Teddy Bear assez grossièrement façonné avant d’être peint en doré. En équilibre sur un pied l’ours brandit en main droite un couteau de cuisine. Dictateur triomphant, libérateur du peuple des ours en peluche, toutes les hypothèses sont permises… Il s’agit surtout de noter les marques d’humour et de dérision, souvent présentes dans les réalisations de l’auteur.

Dans l’exposition une autre colonne d’à peu près de la même hauteur répond à celle-ci. Objet de vertu, 1990, se présente comme une accumulation de 17 troncs de cônes, les pointes dirigées vers le bas, qui s’enfoncent les uns dans les autres. Le tout repose sur un énorme plateau, avec anses, de 1,50 mètre. Tout comme les cônes, il est rempli de plâtre dont le blanc contraste avec l’oxydation du métal. Il était possible de penser à Charlemagne Palestine devant la colonne aux ours, on songe cette fois à la Colonne sans fin de Constantin Brancusi. La très haute colonne réalisée par le grand sculpteur roumain, installée en 1938 dans la ville de Târgu-Jiu, dans le sud-ouest des Carpates, est précisément composée de 17 modules en forme de losange. Dominique Angel, qui a enseigné à la Villa Arson, connaît parfaitement l’histoire de l’art et les figures marquantes des révolutions du XXe siècle. Avec beaucoup de maitrise des savoirs faire, Dominique Angel, cultivé et légèrement moqueur, joue sur les parentés et les distances de ses créations annoncées comme « supplémentaires » avec de multiples productions valant comme références dans le champ de l’art contemporain. Il y a du Hans Arp dans ses nuages ou ses panaches de fumée, des allusions à Bruce Nauman, Joseph Kosuth ou Mario Merz dans cet usage des lettres néon. Le visiteur est constamment sollicité, doublement, tant pour les qualités formelles des assemblages basés sur l’intégration d’objets manufacturés que par le renvoi distancié à l’histoire des créations volumiques contemporaines. La puissance tutélaire de Marcel Duchamp est clairement convoquée dans cette pièce où un verre cannelé, en verre vert, juché sur une spirale de plâtre, descend humblement un escabeau. L’ensemble est couronné de multiples cornues tordues contenant de « l’air de Marseille ». Précisons que l’œuvre (2011-2013) a été réalisée au Cirva, Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques, Marseille ; elle fait maintenant partie de cette collection.

Devant toutes ces pièces, le plaisir esthétique est certes lié aux ressentis devant des configurations formelles et spatiales des pièces mais avec ce « supplément » apporté par les renvois fréquents aux visuels et aux concepts de l’histoire de l’art du XXe siècle. Malgré ces puissances tutélaires, le créateur d’aujourd’hui se doit pourtant de réussir à exister. C’est ce que prouve cette présente exposition. Comme on l’a entendu à la lecture des noms d’artistes déjà cités les références sont nombreuses, disparates, hétérogènes, ce qui permet à Dominique Angel de s’accomplir comme un créateur singulier. Par delà les styles des autres astucieusement évoqués, il y a une façon Angel de réunir les formes et les matériaux. L’actuelle exposition fait remarquer un type d’association déjà présente dans les pièces plus anciennes à l’intitulé identique : Sans titre, 1986. La banalité des matériaux (tôle ondulée, pâte à papier, fer plat, fil de fer) est transcendée par l’originalité des assemblages et l’inattendu des mises en espace. Les assemblages cumulatifs conjuguent déjà les contraires : continu/séparé, stabilité/déséquilibre, ordonnance/désordre, abstractions formelles/évocations dénotatives. Toutes ces expérimentations sont parachevées afin aboutir à une autonomie relative. Ainsi une Pièce supplémentaire (1998-2014) de l’exposition regroupe, sur plusieurs petites tables en bois, diverses compositions de petite taille, souvent à base de plâtre : plutôt que regarder l’ensemble, on apprécie de circuler entre ces sellettes en examinant une seule pièce ou plusieurs à la fois.

Dominique Angel montre beaucoup de qualités différentes tant pour faire ce qu’il fait que pour montrer ce qu’il montre. Part delà les artistes convoqués, il déploie une œuvre développant une sensibilité propre et une pensée singulière. Conscient et malicieux, il a choisi comme titre de l’exposition une phrase de Fernand Raynaud : « Quand je vois ce que je vois, et j’entends ce que j’entends, je suis bien content de penser ce que je pense ».