L’exposition China Gold du Musée Maillol Dina Vierny de l’an passé consacré à l’art contemporain chinois nous avait passablement déçu. On aurait dit que la plupart des artistes y reprenaient les mouvements d’avant-garde européens avec de nombreuses années de retard et sans ajout signifiant.
Heureusement, au même moment, en annexe de l’exposition remarquable à la Cité de l’architecture et du patrimoine du Palais de Chaillot, une présentation des réalisations architecturales chinoises de maisons nous avait convaincu de l’originalité d’artistes d’une Chine que nous avons trop la tentation de n’imaginer qu’uniformisée.
L’exposition japonaise consacrée à l’avant-garde chinoise de ces 20 dernières années nous a permis de découvrir la richesse des recherches individuelles de certains plasticiens dont la plupart, nés dans les années 1970, travaillent à Pékin.
On y retrouve d’abord la dérision attendue dénonciatrice de l’époque Mao : des sculptures (2002) intitulées « Materialist » représentent l’ouvrier héroïque révolutionnaire selon les canons « réalistes » mais le bras dirigé vers le bas. Wang Guangyi, un des chefs du mouvement Pop Politique, mais se revendiquant aussi de dada, recouvre par exemple partiellement des reproductions de peintures classiques de Vinci à David sous de la peinture à l’huile industrielle !
Plus intéressant, le performer Zhang Huan dans « 12M2 » (1994) recouvre son corps nu de miel et d’huile de poisson et reste immobile pendant une heure dans des WC publics, attaqué par des centaines de mouches. Nous lui préférons sa performance davantage polysémique de 1997, « To Raise the Water Level in a Fishpond », dans laquelle il demande à des dizaines de Chinois d’entrer dans un étang poissonneux de 200 mètres de diamètre de telle sorte que le niveau de l’eau s’élève, et ce, jusqu’à ce qu’il entre lui-même dans l’eau avec son fils sur les épaules. Cette performance peut se comprendre de façon diverse : tâche collective sans lendemain telle que le régime de Mao en a imposé au peuple ; addition d’actions individuelles ayant un effet même ponctuel ; résistance aux pouvoirs ; effort commun pour porter enfin l’enfant vers l’avenir ; etc.
Le collectif se retrouve aussi chez Fang Lyjun (déjà exposé en France au centre Pompidou en 2003 : « Alors, la Chine ? ») qui décline à l’infini des figures de Chinois chauves souriant de façon niaise ou poussant un cri muet (« Séries 1992 »), peintures qualifiées de « nihilistes ».
Yang Zhenzhong, vidéaste, a parcouru le monde de 2000 à 2005 (déjà présenté à la Biennale de Venise en 2007) pour demander à des personnes de tous âges, nationalités, cultures et classes sociales, en gros-plan frontal devant la caméra, de dire la phrase « I Will Die » (le français « Je vais mourir » rendant mal le futur anglais plus indéfini). Rires, plaisanteries, défis, émotions, gravités, regards d’appel vers nous, qui nous interrogent sur cette certitude inconcevable. La démultiplication de ces films sur 10 écrans nous enserre de cette condamnation à mort…
C’est après cette issue que nous convie Yang Fudon, vidéaste, dans « No Snow of the Broken Bridge » (2006) sur huit écrans en demi-cercle, contigus mais indépendants. Des groupes d’hommes et de femmes élégants y déambulent sans fin dans un bois romantique, au son d’un piano et d’un violon mélancoliques comme condamnés éternellement à une beauté aristocratique à la fois esthétisante et vide. Le spectateur, tel le narrateur du roman de Bioy Casares « L’invention de Morel », s’y laisse prendre comme un protagoniste errant parmi les autres fantômes.
Peng Yu et Sun Yuan n’ont pour une fois pas fait appel à des animaux vivants, des os humains, des cadavres de bébés ou de la graisse récupérée de cures d’amaigrissement. On pourrait dire qu’ils y gagnent paradoxalement en réalisme transcendant un peu à la façon de Ron Mueck. « Old Person’s Home » (2007) présente treize vieillards du 4ème âge sur des fauteuils roulants arpentant la pièce un peu à la façon des autos tamponneuses mais sans se heurter, programmés de telle sorte qu’ils produisent un équivalent de mouvement brownien.
ils sont de races et de religions différentes, effondrés de vieillesse dans leurs convictions idéologiques, tournant devant nos yeux comme les mouches à merde de Zhang Huan bourdonnent autour de notre pourriture.
On passe dans cette rétrospective de la critique qui a du mal à se départir d’être réactionnelle à la tragédie même de la condition humaine.