Adepte de la mise en scène, Edouard Levé, sans aucun doute l’un des jeunes créateurs les plus brillants de la création française actuelle, perfectionniste pince-sans-rire, aime affirmer qu’ « il n’y a pas d’humour dans ses photos, comme dans ces livres ». Je ne l’ai jamais cru.
Une telle affirmation est selon moi justement l’un des traits caractéristiques de son ironie et de son sens de la dérision (et de l’autodérision), déroutants, singuliers, mais jamais méchants… Démonter ou détourner, déconstruire, pour ensuite réassembler au gré de sa fantaisie sans bornes les codes iconographiques : tel est le point commun de toutes ses séries. Après, pour ne citer que celles-ci, « Les Rêves reconstitués » et les Fausses photos d’actualité des « Reconstitutions », l’artiste prend un évident plaisir à recourir désormais à ce noir et blanc jugé à tort par certains « ringard », « démodé », qui ferme les portes de nombreuses galeries ou institutions depuis quelques années à ceux qui lui sont restés fidèles…
Et le résultat est formellement des plus séduisants : déclinaisons de gris subtiles, une lumière douce qui éclaire chacun des personnages figés comme des personnages de cire, intimiste presque. Les étoffes des vêtements, le cuir des chaussures, les carnations sont sensuellement restitués – on est loin du clair-obscur « tranchant » des toiles caravagesques… Fictions : à nous d’imaginer ce que l’on veut au gré de notre fantaisie aussi, tant ces scènes étranges et hiératiques ouvrent sur une polysémie sans limites. Les gestes suspendus semblent parfois faire sens, parfois pas du tout, ou plutôt, et si l’on y regarde de plus près, peut-être inviter dans un second temps à une infinité de significations…
Notons la grande qualité d’impression de cet ouvrage paru chez P.O.L. qui édite aussi les écrits d’Edouard Levé.