Édouard Sautai, Flood

Après son intervention dans l’espace public d’Ivry-sur-Seine, La rémanence du passing-shot (2017), Édouard Sautai inonde le kiosque situé au pied de la tour Raspail de Renée Gailhoustet, effets d’eau agitée avec reflets lumineux dansant sur les parois vitrées. Water-polo stadium, le kiosque, accès et fenêtre sur l’espace souterrain, changeant d’échelle, devient la partie émergée d’une piscine ou d’un centre nautique. À quelques pas de là, d’une architecture à l’autre, symboles de la rénovation urbaine du centre ville d’Ivry, Flood submerge la galerie Fernand Léger en sous-sol des architectures de Jean Renaudie.

Avec l’eau, il est question de la Seine, son image, son influence dans le milieu, l’action des hommes sur son cours. Édouard Sautai étudie les formes et les spécificités du lieu à différentes échelles. Il s’y engage. Il en construit et dérange l’espace avec un humour poétique, en restitue en question les temporalités et les usages présents et passés, l’histoire et la mémoire. Ses recherches, ses interventions et ses constructions déplient quantité de récits possibles entretenus par la mise en doute de la perception et la recomposition des images mentales.

L’exposition dans la galerie s’ouvre sur la réactivation des Intersections (2009-2017), cinq intersections de cylindres en tôle noire, jetées comme en un coup de dés sur un sol ciré du même métal. L’œuvre, pensée et réalisée dans un partenariat avec une école de chaudronnerie, n’est pas seulement à voir pour ses formes et ses reflets bleutés dus à l’oxydation à chaud, elle est à pratiquer dans une expérience sensorielle de la géométrie dans l’espace et de l’aléatoire.
La mise à l’épreuve de l’exercice géométrique complexe se poursuit par Mazzocchio (2017). La référence à la coiffe florentine et à la virtuosité de sa représentation perspective par les peintres de la Renaissance italienne, Paolo Uccello, Léonard de Vinci… peut-être même jusqu’aux artistes et aux chercheurs contemporains qui travaillent sur l’histoire de la représentation comme Jean Sabrier ou Claude Lothier, est explicite. Jeu de correspondances aussi entre le titre de l’exposition et les coiffes en damier de l’épisode du Déluge de la fresque du cloître de Santa Maria Novella, le quart de mazzocchio, facetté, en bois de bouleau, entre deux miroirs appliqués à 90° dans un coin, explore plus loin les techniques de la représentation et leur rationalisation, faisant appel aux calculs et aux expérimentations de Filippo Brunelleschi. La construction oscille entre l’exercice de sculpture et un jeu d’illusion mis en abyme. En se constituant en tore complet par delà les murs de la galerie, il y prend le visiteur, dédoublé ou plus en fonction de sa proximité et de ses déplacements. Absorbé dans l’œuvre, le spectateur s’abîme dans une géométrie complexe autant que dans une mémoire littéraire emplie de miroirs et de murs traversés.

Avec Fil de Seine (2017), Édouard Sautai propose au visiteur de laisser vagabonder son esprit hors des murs de la galerie, de découvrir l’invention d’une esthétique du fleuve, épurée de ses affluents, un long dessin bleu qui sinue sur fond noir, douze tableaux en impression directe sur aluminium. À chacun d’identifier la ou les portions qu’il connaît, d’y inscrire en invisible, comme l’artiste, sa biographie, de se laisser surprendre ou de discuter, dans cette cartographie sans nomenclature, la densité des actions de l’homme dans la modification des formes et des abords du fleuve, de débattre des causes et des responsabilités avec en tête le titre de l’exposition, de réinvestir différemment la proximité du fleuve et de l’architecture du lieu, protégée par un cuvelage.

Il y a la remontée des nappes phréatiques, il y a la crue, récurrente, les débordements et les étendues d’eau, effrayants et fascinants. Vu de la porte, le miroir d’eau semble avoir submergé une des salles basses de la galerie. Stabilisée à un mètre cinquante du plafond, impossible d’évaluer réellement la profondeur de la surface noire et brillante de l’eau qui en réfléchit les poutres et les néons. Édouard Sautai avait déjà utilisé des miroirs d’eau dans d’autres environnements pour valoriser la charpente d’une chapelle (L’art dans les chapelles, 2013 et 2014), évoquer des voyages lointains ou des naufrages sous le ciel changeant (Château de Trégarentec, 2014), il intervient ici, toujours soucieux du contexte et de ses potentialités à faire narration, rappelant autant les menaces de l’eau qui s’infiltre ou inonde et interdisant par l’œuvre même l’accès à la salle d’exposition. De la submersion à la subversion, le thème du miroir engage l’humour de l’artiste, mais ouvre aussi, pour qui veut y réfléchir, vers une critique non dénuée d’ironie sur ce qui nous attire et nous repousse à la fois.

L’espace est une question de sens, du haut vers le bas, du plein vers le vide, du réel vers le figuré… ou inversement, l’humour appliqué à la physique. S’appuyant sur toutes les significations possibles d’une expression populaire, Prendre un bol d’air (1994), Édouard Sautai crée l’illusion, écran de télévision ou vitre d’aquarium, d’une inversion de la gravité en se servant et en buvant, la tête en bas dans une piscine, un bol de l’air contenu dans une bouteille.
L’exposition se conclut sur deux projections vidéo croisées, Monumelt (2017) et Flood (travelling fluvial, 2016).

Des architectures de sucre en morceaux, maquettes de monuments, d’ici ou d’ailleurs, sans références explicites, plongées dans l’eau, en temps réel, la vidéo suit en plan fixe leur sape par dissolution et leur effondrement. Question d’échelle et de temporalités, la métaphore est enquête sur ce que l’on conserve, ce que l’on détruit, ce que l’on rénove, dissolution de l’illusion patrimoniale face à l’infiltration et à la corrosion de l’eau. Sa contextualisation prend une signification d’autant plus forte, que l’exposition se déroule dans une architecture de Jean Renaudie, une architecture et un urbanisme vantés qui continuent, depuis la rénovation du centre ville d’Ivry dans les années soixante-soixante-dix, à attirer curieux et professionnels ; qui se dégradent peu à peu du fait d’un manque d’entretien mais aussi de l’évolution des usages des habitants et des passants.

De la banlieue à Paris coulent la Seine et ses crues. Juin 2016, depuis les ponts, aux abords des îles de la Cité et Saint-Louis, un quartier où le choix de la conservation monumentale est ancien, les passants observent la montée des eaux, la caméra les filme, ainsi que les berges submergées et les monuments, dans un long travelling à la surface de la masse d’eau en mouvement, Flood, inondation, mais aussi, en menace et en espoir, un écho du Déluge et la question de l’éphémère.