En chemin vers le pays de Trêlles

Au détour de leurs conversations entre l’abonnement à l’Equipe, le goût de la gemmologie où encore les tribulations des poètes Electriques, De la futilité et autres nuits rapportées, est une trace précieuse où Matthieu Messagier et Michel Collet, dévoilent quelques processus de création.

Florence Andoka : Comment vous êtes vous rencontrés ?

Matthieu Messagier : Un soir d’automne doux, ma porte était ouverte et je vois Michel dans l’encadrement, il était tombé en panne, sur le pont à côté à deux cent mètres. Je sentais que c’était un signe et nous sommes devenus amis en dix secondes et demi, rien à voir avec l’intellect. C’était, je crois, encore dans les années 1990.

Michel Collet, : Nous avions des amis communs – Claude Pélieu et Mary Beach à Cherry Valley, m’avaient beaucoup parlé de Matthieu, mais sans l’incident sur le pont, je ne sais pas si nous nous serions rencontrés. De la futilité et autres nuits rapportées est un texte auquel nous tenons tous les deux. Nous avons poursuivi cet entretien durant plusieurs années, au début on ne savait pas où on allait, découvrant ce que l’on faisait en le faisant. Dans nos entretiens, il y a une volonté de nous en tenir à une forme spontanée de la pensée, avec ses aspérités. Si nous le recommencions aujourd’hui, ce livre serait différent mais le fond serait le même. On a fait confiance au dialogue, parfois c’est harmonieux d’autre fois non. C’est en quelque sorte une dépense absolue.

MM : On parle, sans intention de plaire, de choses qui nous étaient chères depuis longtemps et qui vont au-delà de nos vies. Il n’y a aucune chose qui soit personnelle et je pense que c’est ce qui fait son intérêt, la poésie est la chose la plus objective du monde. Si on veut en parler on peut peut-être parler de sa souffrance d’abord qui se transforme en absolu, en allégresse. On ne peut pas, se démontrer, se montrer, se répandre, ou alors, c’est que ce n’est pas de la poésie. De toute façon, ce qui est important l’est, même si ce n’est pas connu, même cela reste invisible, ça aujourd’hui j’en suis sûr. Ce n’est pas toujours le visible qui doit dominer. Ce ne sont pas les intellectuels, ceux qui enseignent, ceux qui écrivent préfaces et post-faces qui gravitent autour des poètes qui décident. Je pense cela depuis longtemps, quand j’avais dix ans, j’ai arraché les pages de la préface des Illuminations de Rimbaud écrite par Paul Claudel et j’ai barré son nom sur la couverture, parce que je ne voulais pas que quelqu’un fasse la présentation, je voulais que mon regard ne soit pas déjà blessé par des idées reçues autour de la poésie.

MC : Ce qu’on appelle la médiation, nous ennuie quelque peu. C’est peut être une erreur mais nous cherchons à accéder impatiemment aux choses, à leur contact, sans présentation, sans assurance.

FA De la futilité et autres nuits rapportées est un ouvrage où le réel est omniprésent. Qu’en est-il du lien entre la poésie et le réel ?

MC : On a beaucoup inventé finalement, par exemple le Mont Blanc, il fallait bien l’inventer. Et s’exercer – on fait ça tout au long de l’existence.

MM : Entre réel et méta-réel, les deux sont indissociables. Toutes les dialectiques sont plus ou moins manichéennes finalement.

MC : Il y a quelques temps, dans un lieu dédié à la performance, j’étais invité à présenter une action, je l’ai appelé anti-action, comme l’anti-matière – une exploration de cette face symétrique de la performance… finalement j’ai compris que cela pouvait être décevant pour les spectateurs. C’est aussi cela nous voulions déjouer au fil de nos entretiens, déjouer l’attente – notre attente.

MM : De la Futilité et autre nuits rapportées, a été très difficile à corriger, on ne voulait pas l’affadir, on voulait laisser les choses telles qu’elles étaient apparues. Il reste des choses obscures.

FA Entre performance, poésie et entretien, est-ce l’oralité qui serait au centre ?

MM : Bob Kaufman disait que sa poésie venait des griots africains et que les larmes de Billie Holiday étaient les neiges du Kilimandjaro qui fondaient. Il n’y a pas que l’écrit, pas seulement ce est enseigné à l’université. Notre rôle c’est de dire qu’on est aussi venus de cet oral, même si on ne le sait pas, il y a les Indiens d’Amérique du Nord, les Aborigènes, la cosmogonie de certaines îles des Philippines…etc. Tout ça est aussi important que Jarry ou Khlebnikov. Comme le disent les tibétains, quand on naît, on est déjà très vieux parce que l’on est chargé de quelque chose qui nous est antérieur.

MC : Antérieur, ce serait la poésie orale – celle de Hugo Ball, Bernard Heidsieck, Henri Chopin, Ghérasim Luca, John Giorno, Allen Ginsberg avec ses litanies qu’il accompagnait à l’harmonium à son retour d’Inde, et de bien d’autres. Notre livre est une façon d’explorer une forme d’oralité. Si l’oral est ce qui est mouvant, le livre est une sorte de prélèvement, juste avant ce moment où quelque chose se fige, devient vertical. L’idée d’entretien c’est plus l’idée d’une partition, que celle d’une catégorie. Bob Holman a tenu une scène ouverte pour la poésie orale à New York, aujourd’hui il arpente le monde à la recherche de langues qui risquent de disparaître. Chaque langue porte un monde poétique, il en va de même pour les gestes.

MM : Lautréamont disait la poésie doit être faite par tous, je dis qu’elle doit être faite par tout.
Quand je regarde un fleuve, j’ai un sentiment de vie incroyable, et ça c’est donné à tous. Nul besoin d’être agrégé de quoique ce soit pour comprendre les choses. On accumule trop les connaissances au détriment du savoir, celui de disparaître face au monde auquel on doit tout. La poésie ce n’est pas une carrière, ça comprend aussi les choses ratées. Quand j’écrivais Orant, je ne savais pas où j’allais, la cohérence n’est apparue qu’après.

MC : La gratuité et l’innocence – car tout est gratuit en Patagonie. On a en commun le fait de ne pas être des spécialistes.

MM : Si vous écrivez parce que vous êtes écrivain, c’est fichu. Il faut écrire en sachant qu’on ne sera jamais écrivain. Si vous êtes installé dans votre carrière vous êtes mort, il faut toujours que subsiste le doute.