Enflammer le paysage

Nikhil Chopra est un artiste polymorphe né en Inde où il réside.
Il a été invité à de nombreuses résidences, au Met à New York,
à la Cité des Arts à Paris, et a exposé en 2017 à la Documenta.
Les performances qu’il réalise en public sont des spectacles
dansés qui réhabilitent la peinture de paysage en très grand format.

Pourquoi transforme-t-il la peinture de paysage en performance ?
Déjà, parce que cela permet de saisir la virtuosité de son dessin :
Le fait de voir un paysage s’élaborer en grand format et de pouvoir suivre le rythme de sa création nous rend contemporains d’une action, un « work in progress », ce qui nous fascine plus encore que se contenter de contempler le résultat final – même si le va-et-vient entre des paysages de plus petits formats exposés dans la galerie et l’élaboration in vivo d’un immense dessin mural aux pastels met en valeur ces productions en combinant des gestes qui se succèdent et la trace qui en résulte au final. L’art de l’espace provient d’un art du temps : c’est pourquoi les performances sont scandées de musique live.

Représenter le paysage.

Même si le paysage n’est devenu un thème pictural que tardivement – cf « L’Invention du paysage », livre de Anne Cauquelin – il semble devenu depuis le 19e siècle un lieu commun esthétique où se cristallise le rapport des modernes à la nature. Mais le devenir-paysage de la nature oublie trop souvent les conditions historiques et culturelles de ce point de vue bucolique dans lequel alternent le beau et le sublime, comme le fait N. Chopra avec les volcans et le feu.

L’aperçu synchronique d’un paysage passe en fait par différentes étapes, que ce soit pour celui qui s’y déplace en marchant, pour celui qui le représente, et même pour celui qui le regarde. Cependant, de la simple promenade au voyage au long cours, le paysage fait désormais l’objet de photographies et de vidéos : les supports des vues de paysages s’immatérialisent. En revenant au matériau, en se servant de pastels ou de fusain sur papier ou sur toile, Nikhil Chopra fait advenir le paysage d’une manière concrète et performative devant nos yeux : ceci est un ciel, une montagne, une forêt, une rivière… L’action, le faire advenir semble provenir pour lui d’une urgence – même si le paysage est esquissé à la va vite, la maestria de l’artiste, entièrement pris par l’action, nous transporte effectivement ailleurs.

Restaurer l’aura

Dans son essai célébrissime sur « l’œuvre d’art à l’époque de la reproductiblité technique », Walter Benjamin avait défini l’aura comme « l’apparition unique d’un lointain » : la nature a une aura que l’on ressent lorsque l’on suit du regard « un calme après-midi d’été, une chaîne montagneuse à l’horizon ». Comment restaurer dans son immanence cette impression unique et fugace d’une co-présence avec le lointain ?

Avec la représentation artistique que nous propose Nikhil Chopra qui n’est pas une mimésis, mais une évocation, nous sommes conviés à participer à la mise en présence d’un horizon lointain qu’il restitue ici et maintenant. La sonorisation de la gestuelle par des bruits naturels ou de la musique, l’aspect de cérémonial d’une performance où l’artiste se transforme en intercesseur entre un paysage lointain et nous en prenant la forme d’un instrument – comme si un crayon pouvait s’animer – et en devenant un médium inspiré, revêtu d’habits qui symbolisent son devenir-autre.

L’apparition de la nature comme cadre, décor, lieu scénographique d’évènements, culmine avec l’élément feu dont la violence destructrice – le feu des volcans ou des incendies de forêt – fait appel à un mélange de force et de fragilité propre à la nature que l’artiste parvient à incarner devant nos yeux avec toute son ambivalence.