Entre Internet et papier Nouvelles formes critiques

Communication au Congrès de l’Association International des Critiques d’Art
Istituto Cervantes,paris 15-22 octobre 2006

Une économie critique de la revue

En nous donnant les moyens de faire exister notre revue en ligne nous avions commencé par établir une plus grande exigence critique, mais nous restions dans un rubriquage en remorque de l’actualité artistique.

Nous savons d’expérience que gérer une revue critique sur internet c’est se donner des moyens de diffusion plus importants,tout en cherchant une complémentarité par rapport à l’édition papier. L’écriture pour l’écran suppose une autre forme d’approche des oeuvres.

« Pour qui écrit sans support, il ne s’agit plus de produire des informations achevées, des textes clos, « parfaits », mais de faire que sa propre créativité laisse une place aux autres dans le dialogue. Le but n’est plus de fabriquer quelque chose, mais de donner libre cours à l’acte même de fabrication » Vilèm Flusser « la civilisation des médias » Circé 2006

Du journalisme culturel à une critique sur le net

Nous avons proposé récemment un ensemble de concepts qui servent d’entrée à l’ensemble de nos articles depuis mars 2006. En voici le fonctionnement.

écarts : désigne la règle, la norme, le canon ayant trait à la question du beau en art et forgeant la forme artistique. Cette notion nous servira également à problématiser tout ce qui s’écarte de ces « règles », comme, entre autres, la question du laid. On pourra réserver une place à la question du goût et à celle de la doxa.

nécessités : ce terme fait directement écho à la nécessité intérieure de Kandinsky. Nous souhaiterions l’employer dans un sens large car à la notion de nécessité correspond celle de désir, de flux mais aussi de hasard.Nous pourrions aussi le voir sous l’aspect du besoin et interroger cette notion au regard de celle de « prétextes » et de « tactiques ».

précipités : ce terme tente de faire émerger la question du rapport au monde qu’entretient le créateur au travers de son oeuvre, dans une visée anthropologique. Dans cette perspective, l’oeuvre serait comprise comme lien récurrent entre le sujet et le monde. Exemple : comment un certain rapport au temps dans la culture classique peut-il se retrouver dans la représentation picturale. Le terme « précipité » nous permet ainsi de suivre ce lien et sa « condensation » dans l’oeuvre. Comment la forme apparaît-elle ? Quels autres critères viennent en faire le « précipité ». Cette idée recoupe la question de la survivance des images traitées par Aby Warburg et Georges Didi-Hubermann.

prétextes : ce qui permet de dire, de faire émerger l’oeuvre comme un objet détaché du sujet créateur. Cette notion prend donc différents masques : celui du communautarisme, de l’engagement politique, …Entre nécessité et tactique, la notion de prétexte, nous invitera peut-être à disséquer le discours de l’artiste comme présentant du cochon comme de l’art.

tactiques : Un mot qui parle de lui-même dans une actualité où artistes, galeristes, critiques, institutionnels savent en faire usage à bon escient…(ou non). Une tactique pourra être utilisée par un artiste pour se positionner par rapport à l’histoire de l’art, ex : la mode du « remake ».Une tactique relève aussi de la carrière artistique : quelles galeries pour quels réseaux ? Elle s’inscrira également dans la chaîne de production économique de l’oeuvre d’art. … . Envisager ce critère comme essentiel à la production artistique au même titre que le matériau.

lacunes : ce mot n’est pas classé par ordre alphabétique car il entend « amasser » toutes les réflexions qui ne répondront à aucun des critères ci-dessus. Critique de notre propre système, il pourrait également souligner les négligences, les oublis et les erreurs de l’institution.

Faisceau ou réseau, papier ou internet

Cela autorise aussi bien les formes courtes que les développements en périodes, plus longs et très illustrés. La nouveauté provient surtout des mots références « les nuages de mots-clefs » en anglais « tag-clouds »et des liens qui sont créateurs de thématiques, cette application de l’arborescence crée une nouvelle forme de démarche encyclopédique.

Nous sommes plusieurs au sein de la rédaction à être engagés dans la participation à des revues éditées Photos Nouvelles, Turbulences Vidéo, Area revue)s(, Transversales, Esse

Nous savons l’intérêt de ce type de publication, même si comme l’écrivait Vilem Flusser dès le milieu des années 90 elles constituent encore un type de communication en faisceau, alors que nous travaillons sur les réseaux

« Mais si la connexion en réseau se répandait dans les mass-media et s’imposait à travers eux, et si alors les îlots la composant : terminaux d’ordinateur, circuits vidéo ou hypertextes avaient le pouvoir de déchirer la structure en faisceau, alors la société d’information utopique nous permettant de nous réaliser les uns par les autres, sur le plan technique et donc aussi existentiel, dans le domaine du faisable » Vilem Flusser Opus cité

C’est pourquoi nous accentuons aujourd’hui notre travail de mise en réseau, avec d’autres sites comme numedia-edu ou sklunk mais aussi avec les revues papiers évoquées plus haut, sans négliger les collaborations avec des évènements ou des manifestations les Rencontres Place Publique, Art outsiders

ou le salon Show Off. Comme l’écrit Janique Laudouar dans son récent éditorial de numedia-edu :

« En ligne, les mots pour le dire ne sont plus nécessaires : les liens, oui.

La pertinence et la cohérence des liens vers lesquels un auteur vous entraîne, les catégories, le rubriquage, les « tags » (« étiquettes » en français, qu’on appose à ses textes), les « flux personnalisés », les « entrées », les « commentaires » sont autant de têtes de chapitre d’un roman ou journal d’un nouveau genre, autant de figures de style d’une nouvelle forme d’expression.

Nous sommes au début de cette aventure mais elle nous apparaît porteuse de nouveaux enjeux pour la critique, et nous invitons tous ceux qui croient à ce développement à nous rejoindre pour élargir nos réseaux.