Entretien avec Hugo Pernet

Hugo Pernet est peintre, il vit et travaille à Dijon. Son exposition « Soleils couchants /Setting suns » se tient jusqu’au 22 décembre à la galerie Joy de Rouvre, à Genève.

Florence Andoka On a le sentiment que votre exposition, plus que des natures mortes, présente une dimension narrative. De quoi les Soleils couchants sont-ils le nom ?

Hugo Pernet :S’il y a une narration c’est entre les tableaux qu’elle se crée. Entre les formats, les couleurs, les sujets. Alors que j’ai fait ces tableaux il y a quelques mois, je me suis rendu compte que je ne savais plus dans quel ordre je les avais peints. Il y a une confusion qui est due à la nature de la peinture : ce que l’exposition raconterait s’il elle était vraiment une suite de dessins humoristiques ou une bande dessinée est annulé par le mutisme et le formalisme propre aux tableaux. C’est un peu comme l ballon qu’on voit sur la scène de plage : ni les personnages, ni le spectateur n’ont envie de jouer avec. Parce qu’une peinture ne raconte rien, elle peut essayer mais elle n’y arrivera jamais. Chaque scène est un moment arrêté, un comic strip en une seule image. Un peu comme si on donnait la chute en même temps que la blague.
Les natures mortes, ce sont des tableaux au carré, quelque chose qui existe déjà, comme les peintures abstraites dans les musées. Les fruits ne sont pas peints sur le motif, ils sont purement génériques. C’est à la fois un sujet et le déni de tout sujet. La nature morte, comme le monochrome, peut remplacer n’importe quel tableau dans n’importe quelle exposition.
Quant aux Soleils couchants, je n’en sais rien, c’est juste un titre. C’est un éclairage extérieur (il n’y a aucun soleil représenté dans les tableaux). C’est l’ambiance verlainienne de l’exposition, dans le sens d’un double sentiment de joie et de mélancolie.

Florence Andoka Vous êtes peintre. Comment ce médium s’est-il imposé dans votre travail ?

Hugo Pernet :J’ai toujours voulu être peintre, je crois. J’ai aussi fait quelques sculptures et installations aux Beaux-Arts, mais la fascination qu’exerce sur moi l’objet « tableau » depuis l’enfance n’a jamais disparue. Le truc qui m’intéresse par dessus tout c’est vraiment la « peinture sur toile ». J’aime cette convention parce que c’est un langage qu’on a en commun. On n’a plus besoin de penser à cet objet : il est là. C’est comme le fait de porter des habits (après on peut choisir les habits qu’on porte).

Florence Andoka :Vous êtes également poète et publiez des textes régulièrement dans des revues mais aussi en recueil notamment, en 2017, Je vais simplement m’habiller comme tout le monde, aux éditions Série discrète. Comment s’articulent peinture et poésie ? Cherchez-vous la même chose dans les deux domaines ?

Hugo Pernet :Il n’y a pas d’articulation, en fait. La peinture est un autre langage, complètement différent. Dans la poésie ce qui est difficile et que j’aime, c’est justement le fait de ne pas avoir d’autre langue. Il y a un double régime qui menace toujours le poème de ridicule. Mais s’il y a un point commun, c’est peut-être mon intérêt pour l’objet poème et le format du livre, qui est une convention assez proche de celle du tableau dans l’exposition.

Florence Andoka : A la manière de Rémy Zaugg ou de Giorno, les morts pourraient-ils un jour entrer dans votre peinture ?

Hugo Pernet :Je suppose que tu as voulu écrire « les mots » et pas « les morts ». Mais justement, si j’essaie de mettre un mot dans ma peinture ça tue tout, je ne comprends plus rien. Alors c’est vraiment Le Triomphe de la Mort (le tableau de Brueghel) !

Florence Andoka :Les éléments figuratifs de votre peinture fonctionnent-ils comme des signes ?

Hugo Pernet :Que mes tableaux soient abstraits ou figuratifs, la peinture émet un signal. Le fond monochrome est une manière de préparer la communication, et ensuite c’est un peu comme si des extra-terrestres cherchaient à formuler quelque chose dans notre langage (la figuration est plus « accessible » que l’abstraction, dans ce domaine). Sauf que les peintres sont juste des hommes qui s’adressent « en peinture » à d’autres hommes, vivants, morts ou à venir. Donc le signal est particulièrement brouillé.

Mes tableaux ressemblent à plein de trucs connus : dessins d’humour, manga, street art, mais ce sont juste des signes qu’ils empruntent à la réalité du moment. Ce ne sont même pas forcément des choses que j’aime : le genre de peinture qu’on voyait chez Perrotin il y a quelques années par exemple. Mon travail a tendance à intégrer toute sortes d’influences sans se soucier de mes propres goûts. Je suis parfois dubitatif devant ce que je suis en train de faire, mais en même temps je sais que ce n’est pas tout à fait à moi de choisir.

Florence Andoka :En regardant l’évolution de votre œuvre telle que la raconte votre site internet, il se dégage une certaine ironie de votre travail, j’entends par ironie, une forme de second degré qui contrevient à l’esprit de sérieux, mais aussi un doute sur la teneur de ce que l’on voit. Comment et surtout pourquoi Bob l’éponge fréquente-il Ingres ou encore Olivier Mosset ? Qu’en est-il de votre rapport à l’histoire de la peinture ? Votre peinture ne parle-t-elle que de peinture ?

Hugo Pernet :Je suis vraiment sérieux dans mon travail, trop sérieux même parfois. Ce n’est pas tellement la question de l’ironie ou de l’humour qui m’intéresse, mais plutôt celle du goût ou de la valeur. Je trouve ridicule la manière dont certains artistes ou collectionneurs s’accrochent à leurs « goûts » (bons, évidemment ; ce sont les autres qui ont mauvais goût) et n’accordent de valeur qu’aux œuvres qui remplissent les critères qu’ils se sont fixés. C’est vraiment prendre l’Art à l’envers. Dans le deuxième poème du Tao Te King, Lao Tseu prononce ces vers auxquels je pense souvent : « Dans le monde chacun décide du beau / Et cela devient le laid // Par le monde chacun décide du bien / et cela devient le mal ».