Le château de Lacoste, propriété du divin marquis, a traversé la vie de Jean-Claude Couval. C’est dans l’ombre de ce lieu mythique que le jeune homme autrefois fut formé par Jean-Pierre Sudre à la photographie comme à la rigueur du tirage. Jean-Claude Couval revient aujourd’hui sur ce territoire rêvé en préparant une exposition de photographies inspirées par l’œuvre de Sade.
Florence Andoka Comment avez-vous découvert la photographie ?
Jean-Claude Couval J’ai participé à un atelier photo au cours de mon adolescence, ça m’a tout de suite plu. Je suis ensuite devenu l’animateur de cet atelier photo pour adolescent et j’ai commencé à acheter des revues et des livres sur le sujet. Rapidement l’idée de devenir photographe s’est imposée. J’avais découvert le travail de Jean-Pierre et Claudine Sudre et j’ai eu envie de faire un stage expérimental à leur côté. C’était en 1976, le stage durait neuf mois. On était immergé dans un lieu magnifique, au cœur du Lubéron, à Lacoste. C’est là que j’ai vraiment appris les bases de la photographie et en particulier du tirage photographique. L’atelier était un lieu de vie, il y avait aussi une immense bibliothèque à notre disposition, j’ai beaucoup appris en y empruntant des livres. Après ce stage, je suis devenu pendant une année l’assistant des Sudre.
FA Vous avez réalisé beaucoup de natures mortes, est-ce que cela vous a été inspiré par cette rencontre avec l’œuvre de Jean-Pierre Sudre ?
JCC J’aime beaucoup l’œuvre de Jean-Pierre Sudre sur ce thème mais aussi le travail remarquable de Denis Brihat ou encore de Josef Sudek. J’ai réalisé toute une série de natures mortes en tirage Fresson. Au départ il s’agissait de polaroids qui n’étaient qu’une étape de travail. Le point de départ de ces natures mortes est sans doute à chercher dans mon environnement quotidien, dans la confrontation des objets qui m’entourent. Je vis à la campagne et j’aime beaucoup les fleurs. J’ai beaucoup de vases, alors je me suis mis à mettre les fleurs dans les vases, à installer un tissu blanc dehors pour faire le fond. Bien sûr il n’y a pas que cela qui m’intéresse. Je pense qu’un photographe est capable de poser son œil sur des choses très diverses. J’aime aborder des thèmes très différents. J’ai réalisé des portraits d’écrivains, j’ai photographié des villes comme Prague ou Venise, j’aime les paysages de montagne comme les natures mortes, j’aime aussi les habitations et j’ai réalisé une importante série en couleur sur les intérieurs en tirant parfois mes images vers l’abstraction. Etre photographe c’est être toujours en éveil de ce qui nous entoure.
FA Qu’est-ce qui vous donne l’impulsion pour prendre une photographie ? Est-ce l’instant décisif, est-ce un projet mûri longuement en amont ?
JCC Je me suis beaucoup posé de questions lorsque j’ai travaillé sur la première guerre mondiale. Comment travailler sur ce conflit alors qu’il est déjà loin ? J’ai beaucoup lu sur la période, notamment Maurice Genevoix, Blaise Cendrars, Ernst Jünger. Ces lectures ont été mon fil conducteur, elles m’ont aidé à mettre en forme mon travail, à associer parfois les images en diptyque ou triptyque.
FA Le texte littéraire peut-elle être un point de départ pour votre pratique de la photographie ?
JCC Oui, je considère que la photographie a beaucoup à voir avec la littérature. Il y a des images qui naissent de la lecture. L’image littéraire est une représentation mentale, elle n’a pas de matérialité. Il y a un texte de Pierre Berger, un éditorial pour le magazine Globe qui m’avait beaucoup plu. L’intitulé devait être « Avedon un poète rare ». Je pense qu’être photographe cela peut aussi être poète. Avec la littérature comme point de départ il faut se méfier de l’écueil de la photographie comme illustration. Je travaille sur le Marquis de Sade en ce moment. J’ai vécu à Lacoste, à proximité du château de Sade lorsque je travaillais chez Jean-Pierre et Claudine Sudre. Le château était toujours en point de mire alors je l’ai photographié à l’époque. Ces négatifs sont longtemps restés dans mes archives. C’est aujourd’hui, presque quarante ans après, que je réalise les tirages. J’aime bien l’idée que l’on fasse des photos, que beaucoup soient laissées de côté sur le moment puis qu’elles refassent surface des années après, lorsqu’une idée apparaît. Je prépare cette exposition sur le marquis de Sade avec Philip Bernard un ami photographe, qui était chez Sudre avec moi à Lacoste. On va réunir nos photographies et les exposer à Lille fin janvier. Je suis encore dans la construction de l’exposition, je pars de l’ambiance des premières photographies que j’ai réalisées au château de Lacoste, avec sa charpente à l’abandon, ses graffitis, ses plâtres d’époque. D’autres images avec des nus viendront s’ajouter en contre-pied. Les images seront en petit format. Je n’aime pas les grands tirages parce que j’aime m’approcher très près des photos. C’est le rapport intime aux images qui m’intéresse, c’est aussi pour cela que j’accorde beaucoup d’intérêt aux livres de photographies. A mes yeux le livre est le meilleur support pour l’image photographique. Contrairement à l’exposition qui est éphémère, le livre perdure.
FA Qu’est-ce qui se passe quand il y a un fort décalage temporel entre la prise de vue et le tirage ?
JCC Je ne crois pas qu’il y ait un décalage. Je reste toujours en contact avec mon travail passé, parce que je regarde beaucoup mes planches contact, en me disant que cette image est intéressante et qu’il faudrait la tirer un jour. J’ai donc l’ensemble en tête. Les pellicules sont toujours développées rapidement après la prise de vue, c’est le temps du tirage qui intervient plus tard, quand bon me semble. Il m’arrive aussi quelque fois de faire du tirage pour d’autres photographes dans le cadre d’expositions, et notamment pour Pierre Vals, journaliste pour Paris Match qui avait réalisé un grand reportage sur la Grande Chartreuse.
FA Vous êtes proche de Bernard Plossu. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
JCC J’ai rencontré Bernard au cours de conférences et d’expositions. Au fil du temps, une amitié est née. On part régulièrement marcher en montagne et parfois à l’étranger, avec d’autres amis randonneurs qui pratiquent également la photographie. L’effort physique reste cependant modéré, ce n’est pas la contrainte du corps qui influencerait en soi la prise de vue. On n’est pas dans la performance, on musarde, chaque marcheur s’attarde comme il le souhaite, on s’attend pour rester ensemble. Il y a une belle émulation au sein de ce groupe, on aimerait un jour réunir les images que nous avons réalisées en marchant.