A écouter Eric Nivault, on pourrait croire qu’il peint d’abord pour son plaisir, qu’il fait de la couleur son « école buissonnière », il pose devant le photographe, l’air enjoué mais ce qu’il nous montre est le tragique de la condition humaine.
Sa légèreté est sa façon pudique de toucher de quelques traits les profondeurs de l’âme des personnages qu’il invente ou plutôt qu’il fait vivre sur ses cartons, comme un modeste démiurge.

Un jour de septembre 2000, au sortir de la Halle Saint-Pierre, il ramasse une boîte d’allumettes sur le trottoir. Il la crayonne, et puis il continue avec un sous-bock dans un café.

Il dit n’avoir alors « aucune démarche artistique », juste l’intention de fixer un moment, une émotion, un silence.Il « sauve » ainsi des supports promis au rebut et élus au hasard des rencontres : cartons usés, salis, abandonnés.

Son projet qui est moins de sauvetage que de reviviscence entre en correspondance avec ses sujets : tentes pour SDF, catastrophe de Fukushima, premiers bateaux de migrants en 2011, tête d’Africain qui souffre et qui rit, visages dont les regards attestent qu’ils continuent d’être dignes et de revendiquer leur humanité au sein de la misère.

Il passe, il participe par sa présence et saisit le participe présent de ceux qu’il croise ou qu’il imagine, leur donnant, leur redonnant le plus fort des participes présents : être vivant.

Rencontres improbables de café, adossé au « zinc malade », dans des camaraderies éphémères et les cartons sous les verres qui prennent vie et couleurs.…

Ses outils ? Le stylo bille d’abord, puis les feutres, les encres de Chine, …
Entre grands formats –des cartons toujours- et petites « formes itinérantes », rangées en ligne dans des tiroirs surchargés qui envahissent son petit appartement juché en haut du village-colline de la Butte Bergeyre dans le 19ème arrondissement de Paris.

Boîtes d’allumettes dont on soupçonne qu’elles lui servent d’amulettes conjuratoires à renouveler sans cesse.
Cordial, amical mais déchiré secrètement, s’entourant de ses images comme autant de protections entre le rugueux du monde et sa silhouette dégingandée au rire bruyant toujours en bouche.

Il a l’air d’effleurer les paysages divers des visages humains, Il aime les présenter avec une gourmandise qui nous ramène tous à notre condition de passager sur cette terre dont il révèle et transfigure nos fragilités.
Sa peinture, dit-il, est son « issue de secours » mais on dirait que par là-même il se penche vers les humbles afin de nous secourir de la froideur du monde qui, parallèlement au réchauffement climatique inexorable, s’achemine rapidement vers une glaciation de tout affect, de toute générosité, de toute ouverture à autrui.

Il semble ne pas se prendre au sérieux et c’est en souriant qu’on découvre l’humour de ses innombrables œuvres en cachant notre émotion devant ce reflet ludique de nos petites destinées saisies dans l’instant.