La dimension critique du réseau

Revue d’art depuis 2006

Et pendant ce temps,

Les Sciences exercent une véritable fascination pour les artistes, il suffit de repenser à Léonard de Vinci. Il apparaît évident que les artistes d’aujourd’hui, les jeunes générations, soient influencés par les découvertes scientifiques et s’inspirent d’elles pour créer de nouvelles poésies.

Un détour arlésien en cette fin d’automne 2017, à l’occasion d’Octobre numérique plonge le visiteur dans les univers de SMITH. Une artiste connue pour son travail sur l’identité, le genre et le spectre, invite le spectateur à découvrir deux travaux réalisés à partir de documents scientifiques. Le premier TRAUM est un conte spatial, librement inspiré de Yuri Gagarin, à l’image des manuels scolaires soviétiques de l’époque (années 60) vantant l’exportation du modèle communisme sur les autres planètes du Cosmos. Dans le « Magasin de Jouets » (cela ne s’invente pas !), nom de la galerie installée dans un ancien magasin , SMITH raconte une histoire, celle de Yevgéni et Vlad. Les photographies seraient des traces du document audiovisuel projeté au milieu de la galerie, lequel apporte en 22 minutes les explications nécessaires pour la compréhension de ce conte d’un autre type.

SMITH confronte deux systèmes, l’un réel (plus ou moins), l’astronautique avec les Soyouz, les centres de formation et l’autre onirique causé par les crises de narcolepsie de son personnage central Yevgéni (opérateur à Baïkonour de lancement d’astronefs rêvant de voler dans le Cosmos) et ses détours par la chorégraphie, la fusion des corps, et autre pas de côté injectant la beauté du trouble poétique dans une rationalité froide et clinique (aucune couleur, camaïeu de gris, noir et blanc dans l’installation). TRAUM investit l’archive d’un futur rêvé, à l’image du vieux cadre en bois où figure le portrait des deux compères, Vlad et Yevgéni dès l’entrée du « Magasin de jouets ». Les figurines en résine au milieu de la première salle sont des sculptures représentants en modèle réduit les héros de ce conte post-moderne, de la fusion progressive des corps, 2 en 1, produites par une imprimante 3D. La technologie infiltre la fiction.

La poésie injecte des distorsions dans le semblant de réalité à venir. Et le tout à travers la science-fiction, le rêve de la conquête spatiale, la quête d’un ailleurs explosant dans l’Espace avec le puzzle de la dislocation (dont les traces infimes sont reproduites dans les photogrammes rappelant, par la forme, la fin du film d’Antonioni, Zabriskie Point) et l’exploration psychologique des personnages… Indéniablement, TRAUM est complexe. Ce n’est pas un exercice supplémentaire de vulgarisation sur l’astronautique mais bel et bien une œuvre artistique ne se livrant pas facilement et invitant le visiteur à mobiliser sa culture scientifique et technique, sa culture artistique et son ressenti.

D’un Soyouz (à Arles) à un autre (à Lyon), FYTOLIT SKHOLE interroge l’anthropocène. Cette nouvelle ère dans laquelle le Terrien a conscience qu’il détruit la planète Terre. Vahan Soghomonian a édifié dans la galerie Artemisia une Ecole au sens propre du terme dans laquelle il invite des chercheurs, des artistes, des étudiants à réfléchir sur les enjeux actuels de la planète. Du souvenir des restes d’un Soyouz éclaté et disséminé dans le jardin de sa grand-mère en Arménie, Vahan Soghomonian crée une curieuse machine gravitant autour de plantes pionnières comme il les nomme. Ce sont ces plantes qui poussent avec peu au milieu de nulle part. Avec une économie de ressources, les plantes pionnières se développent au milieu d’une fissure d’un trottoir par exemple. Ce sont autant de métaphores du possible devenir du Terrien dans l’Anthropocène. Vahan Soghomonian a crée une trajectoire rapide, d’une résidence à la Factatory (galerie Roger Tator), via une exposition à l’Institut d’Art Contemporain – Villeurbanne (sa fondation) et maintenant une Skholè, une école au sens étymologique pour poursuivre vers les chemins de la connaissance.

Tomi Yard est le complice musical de Vahan Soghomonian pour la FYTOLIT. Le végétal perçoit-il les sons, les vibrations ? Indéniablement, le chercheur Ioan Negrutiu, Directeur de l’Institut Michel Serres, l’affirme lors d’une invitation dans la Fytolit Skholè. Vahan Soghomonian « nourrit » son propos depuis mai 2017 en parcourant les laboratoires de recherche de l’ENS de Lyon, comme le RDP avec Olivier Hamant (laboratoire sur le développement des plantes), le Juste Jardin (conçu par Gilles Clément) avec le jardinier de l’ENS, Medhi Terry etc. L’artiste s’entoure, fait école, avec d’autres partenaires pour que la Fytolit se développe et face des émules… une prise de conscience collective de ce qui se passe. Programmé dans le cadre des « Mondes flottants », la Biennale d’art contemporain 2017 de Lyon, Fytolit Skholè s’accompagne de plusieurs Rendez-Vous faisant vivre cette école : concert de musique circulatoire le 1er décembre 2017, workshop méta-ikebana par Jean-Paul Thibeau… Fytolit Skholè évolue depuis sa mise en orbite le 2 novembre 2017, lors de la seconde Ecole thématique Anthropocène à Lyon questionnant les mobilités.

La création à 4 mains, un musicien et un plasticien, constitue l’autre projet de Smith avec le musicien Hoang (alias Antonin Tri Hoang), Saturnium, présenté à la Chapelle du Méjan à Arles. Les deux artistes sont les lauréats de la 2ème édition du Prix Swiss Life à 4 mains. Saturnium a été présentée pour la première fois au Palais de Tokyo à Paris dans l’exposition Le Rêve des formes au printemps 2017. Autant dire que nous sommes tous avec du saturnium sans le savoir, cette particule découverte par Marie Curie et enfouie dans le puits près de la Montagne Sainte Geneviève depuis les années 1910. Cette particule a une particularité, elle défie les lois du Temps.

Les portraits dressés par la photographe évolueront avec le temps (la technique utilisée par Smith le permet réellement). L’astrophysicien et directeur adjoint de l’Institut Poincaré, Jean-Philippe Uzan, collabore à ce conte musical saturnien en affirmant que cette substance est « capable de courber le temps » et irradie le duo créateur. Les deux artistes interrogent implicitement l’héritage des catastrophes nucléaires comme Tchernobyl, Fukushima ou en cette mi-novembre 2017 la forte radioactivité survenue en Europe provenant du Grand Est (sans explication pour l’instant des autorités russes ou du Kazakstan), l’anthropocène comme Vahan Soghomonian et Tomi Yard et tentent de produire à travers cette fiction scientifique très bien construite (avec facsimilés de documents à l’appui, échantillon du météorite contenant le saturnium utilisée par Marie Curie (voyage en Sibérie à Toungouska sur le lieu de l’impact du météorite au début du XXe siècle), découverte publiée de l’article de Stephany Hawqueen dans la revue internationale Nature, reprenant les articles de Bogdan Joe Liu-Khury dans Physical Review Letters (https://liu-khury.tumblr.com) etc. ) un éveil, un émerveillement, un étonnement pouvant faire sens face à ce qui nous dépasse. Comme si un possible pour l’Humanité et la Terre pouvait naître avec l’énergie du saturnium (référence à la planète Saturne et au Dieu du Temps et figure de la mélancolie). De l’Espace viendraient tous les possibles dans ces trois projets artistiques convoquant la Science.

Ces artistes défient les lois, produisent collectivement, expérimentent leur talent avec les recherches scientifiques et construisent de nouveaux récits, de nouveaux espoirs pour la Terre et ses habitants. L’art explore les frontières de la Science, et la porosité avec nos imaginaires, l’honnête femme et l’honnête homme du XXI e siècle en quelque sorte semblent renouer avec l’héritage de la Renaissance pour le meilleur et le pire de nos destinées.