Exposition Gilles Aillaud. Papiers, 1949-2003 Villa Tamaris, centre d’art, La Seyne -sur-mer.

Construite sur une surface de 3700 m2, la villa Tamaris depuis les hauteurs de la Seyne-sur-mer domine la rade de Toulon et invite à vivre de paysage et d’art. En même temps et parallèlement à l’exposition Gilles Aillaud, la Villa vient d’accueillir pendant une semaine, un premier workshop des écoles supérieures d’art, en offrant à un groupe d’étudiants de trois écoles (Beaux-arts de Toulon, Marseille et Paris) un lieu de résidence, de production et de restitution en lien avec les questions liées à la professionnalisation. Ce fut l’occasion pour chacune et chacun de pouvoir vivre une semaine sur le site, avec les œuvres sur papier de Gilles Aillaud, en compagnonnage.

Si vous n’avez pas encore vu l’exposition « Papiers, 1949-2003 » de Gilles Aillaud à la Villa Tamaris, il est encore temps d’aller à la rencontre de l’ensemble admirable de dessins, lithographies, gouaches et aquarelles présenté.
Dès l’entrée dans l’exposition, un dialogue poétique et bruissant de silences s’installe avec le monde animal et minéral. De grands paysages de bords de mer, des mouettes, et autres animaux se déploient à travers diverses techniques sur papier.

L’ensemble des œuvres présentées, lithographie, collage, aquarelle, gouache et acrylique sur papier, forme une écriture aérienne et silencieuse. Au fur et à mesure que l’exposition se déroule, c’est aussi un long poème qui s’écrit. Silencieusement, subrepticement, des horizons se dessinent, avec une écriture à la fois vibrante et fugace. On ne sait comment décrire ces horizons de méditation qui nous sont donnés dans leur plénitude, sans surcharge ni bavardage, laissant respirer les vides et les pleins, le proche et le lointain. Il faut en faire l’expérience pour en saisir les qualités sensibles, au-delà du descriptible ou du visible, laisser advenir et apparaître les virtualités des espaces et des espèces.

Au rez-de-chaussée, c’est la mer allée avec le soleil, les mouettes et les vagues, l’essence et l’évanescence, des paysages qu’aucun être humain ne vient troubler. La puissance du trait, sa virtuosité, sa fragilité, sa légèreté, sa musicalité invite à de nouvelles partitions du monde. La lumière fait signe. Les espaces bruissent. Les animaux traversent les lieux et capturent notre attention.

Après les paysages marins, l’envol, les tensions entre vide et plein, ce sont les portraits d’animaux dans leur environnement naturel qui nous regardent au premier étage de l’exposition. Une remarquable série de lithographie, réalisée entre 1998 et 2000 sur les presses de l’atelier Frank Bordas, intitulée D’après nature – encyclopédie de tous les animaux y compris des minéraux nous fait face. Cet ensemble de portraits d’animaux, résulte de différents voyage en Afrique et en Europe, et raisonne avec un ensemble de textes philosophiques. La liberté des animaux dans leur environnement est capturée par l’agilité et la rapidité du trait. L’observation domine cette galerie de portraits.
Une partie de l’exposition réintroduit la figure humaine : des autoportraits ou portraits de proches sont présentés. Fallait-il coûte que coûte réintroduire la figuration, être exhaustif, tout montrer des œuvres sur papiers ? Le dialogue avec le reste des œuvres n’est pas du même ordre, même si l’on voit comment les qualités d’observation sont au premier plan pour croquer sur le vif tous ces modèles.

Dans un des textes du catalogue, Robert Bonaccorci rappelle le rôle de Gilles Aillaud dans la figuration narrative et cite notamment le tableau collectif La Datcha, de 1969, présenté récemment aux beaux-arts de Paris par Eric de Chassey, lors de l’exposition « Images en luttes, la culture visuelle de l’extrême gauche en France (1968-1974) sur lequel figure l’inscription « Louis Althusser hésitant à entrer dans la datcha Tristes miels de Claude Lévi-Strauss où sont réunis Jacques Lacan, Michel Foucault et Roland Barthes au moment où la radio annonce que les ouvriers et les étudiants ont décidé d’abandonner joyeusement leur passé ». Son texte fait resurgir l’ancrage de la figuration, la scène historique des années soixante-dix, et l’engagement de Gilles Aillaud. Il coexiste, dans le catalogue avec celui de Jean Louis Schefer et des extraits d’écrits de l’artiste, privilégiant l’écriture poétique. Gilles Aillaud est philosophe, poète, scénographe, nous en faisons l’expérience dans cette exposition.
Il s’agit ici de la dernière exposition orchestrée par Robert Bonaccorci chantre de la figuration narrative. Après toutes ces années entièrement dévouées et ancrées dans la figuration et l’histoire de la peinture, l’ancien directeur de la Villa Tamaris clôt sa programmation sur des horizons poétiques et philosophiques, entre essence et évanescence, tandis qu’Isabelle Bourgeois, nouvelle directrice du lieu, va ouvrir d’autres trajectoires.

Les paysages à marée basse, les mouettes, mers et nuages imposent silence et méditation, dialogue intérieur et extérieur dans cette exposition. Nouvelles approches de la rumeur du monde ? La villa Tamaris semble soudain, elle aussi, prête à être habitée par ce qui l’entoure, le chat, les oiseaux, les vagues, les nuages, la mer, le ciel..tout en étant à la fois l’écrin de ce dehors-dedans, si loin, si proche.
« Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’éternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil » écrivait Rimbaud.