Le 20 septembre, la Maison Européenne de la photographie ouvrira ses portes au Festival @rtoutsiders pour une 7ème édition, sur les corps électromagnétiques.
Le sujet en est doublement captivant : à la fois interrogation sur le monde contemporain et propension qu’à toujours eu l’art de montrer l’invisible…
Qu’entendre par technique ? En art, la technique concerne les procédés de travail, la manière de faire plutôt que l’inspiration ou la subjectivité du créateur. Si nous concevons la technique en regard de la question de l’existence, dans le sens que lui donne Pierre-Damien Huyghe dans le Différend esthétique, elle participe à la réalisation de l’être, à son devenir. La technique est impliquée dans un avènement, dans une effectuation de l’être en puissance définie par Aristote. Elle « réalise à chaque fois un possible, ne se lie elle-même profondément à l’existence qu’à la condition de ne pas se simplifier. Il faut qu’elle soit ouverte elle-même à l’indétermination existentielle, à la pluralité, au fait divers. » (Pierre-Damien Huyghe, Le Différend esthétique, p. 13). La technique est le poïen qui informe le sujet sur lui-même. En pétrissant les éléments, le sculpteur découvre la potentialité de sa main. En agençant les fragments épars du réel, le créateur porte au regard sa sensibilité. Il s’observe faisant. Il rend compte d’une façon d’être au monde.
Aussi étonnante que semble cette question à propos des oeuvres attachées aux nouvelles technologies – puisque la technique, ici, relève du logiciel, du programme, de l’encodage…– , il nous faut tenter de reconsidérer l’évidence. Partons du commencement, là où l’exposition annonce traiter des corps électromagnétiques, de toutes ces ondes parcourant l’espace environnant, ondes hertziennes, basses et hautes fréquences, ondes du quotidien, du téléphone portable au four micro-onde…C’est à un savant, Nikola Tesla (1856-1943) qu’il revient d’avoir étudié les champs magnétiques et d’avoir conçu, entre autres, le matériel de conduction de l’électricité par courant alternatif ainsi que le radio télégraphe, permettant la transmission de l’énergie dans l’atmosphère. Les oeuvres présentées vont donc s’attacher à rendre visible ce phénomène : AELAB, dans une installation interactive, matérialise les structures de l’infiniment petit au travers desquelles les phénomènes électromagnétiques opèrent. Le spectateur, face à ces images de synthèse, se trouve comme plongé dans une forêt de faisceaux lumineux : chacun de ses déplacements en modifie l’ordonnance. Jean-Pierre Aubé, grâce à des récepteurs basse fréquence, propose de rendre audible la périodicité des ondes émises par tous les objets qui nous entourent : concerto de portables prévu au vernissage et rythme régulier de l’ascenceur de la MEP. Lowry Burgess utilise la lune comme si elle était un vaste miroir réfléchissant les ondes. Quant à Marie-Jeanne Musiol, elle expose des photographies prises sous l’effet Kirlian, capturant non plus la lumière mais les manifestations des ondes à hautes fréquences sur les objets matériels. Pour Catherine Richards, il s’agit d’inviter le public à une expérience unique : s’envelopper dans un cocon tissé de cuivre protégeant le corps de toute onde magnétique – sensation dont personne n’a plus bénéficié depuis la naissance. Enfin, Spectral Investigations Collective déploie tout un cabinet de curiosités qui interroge la place prédominante que prennent les appareils à émission électromagnétique dans notre entourage.
A priori, la technique serait ce qui permet de rendre sensible les phénomènes életromagnétiques, elle serait ce qui rend visible l’invisible. Mais en regard des oeuvres qui ont jalonné l’histoire de l’art, cette curiosité n’est pas nouvelle : rappelons à notre mémoire les peintres des grottes pariétales figurant sur les parois rocheuses des figures mi-hommes, mi-animales matérialisant ainsi les métamorphoses chamaniques. Envisageons aussi les peintures de la Renaissance où le thème de l’Annonciation poussa les artistes à inventer une solution technique à un problème religieux : comment rendre sensible le divin « Comment porter aux regards ce qui demeure par nature insaisissable » Daniel Arasse discerne dans un tableau d’Ambrogio Lorenzetti, l’Annonciation,1344, les fondements de toute une tradition de la figuration de ce thème au cours de la Renaissance italienne. Ce tableau se présente sous la forme d’un seul panneau mais se lit comme un diptyque. A gauche, l’ange agenouillé ; à droite, la Vierge est assise, elle a croisé les bras sur sa poitrine et lève les yeux au ciel. Ces deux figures se découpent sur un fond doré, lumière divine qui les enveloppe. Le sol qui les porte, dans le dessin en perspective du dallage, trace des lignes de fuite. Mais le point de fuite est dissimulé par une colonne centrale qui est gravée dans le fond d’or. Cet axe divise l’espace en deux, sépare l’ange de la Vierge, Quand la colonne passe sur le dallage et le coupe en deux, elle est peinte dans son épaisseur. Par contre, lorsqu’elle traverse le fond d’or, elle est simplement dessinée dans ses contours et se présente en transparence. La colonne serait ainsi la matérialisation physique du mystère de l’Incarnation. D’une part, elle est transparente, marquant son caractère spirituel, insondable et infini, mais d’autre part, elle est aussi opaque, apparaissant aux yeux de tous. La colonne se tient à la lisière de l’espace profane et de l’espace divin. Elle marque la distance entre l’ange et Marie, tout en se faisant lien. Et cette solution technique d’être reprise chez Piero della Francesca, chez Fra Angelico, chez Francesco del Cossa ou bien chez Filippo Lippi. Dès lors, la technique ne semble pas relative à un outil, un médium ou un programme mais à un questionnement humain, à une façon d’être au monde, à cette interrogation propre aux artistes de vouloir voir l’immatériel.
Aussi, si ces oeuvres se constituent comme des espace autonomes, si elles usent des nouvelles technologies et en cela paraissent novatrices pour notre époque, elles semblent néanmoins reliées à une question fondamentale de la création et de l’existence. Que la solution à ce problème soit l’axe d’une colonne peinte ou bien la complexité d’un dispositif, cela nous invite à considérer ces structures comme révélatrices de notre désir de voir au-delà de notre perception.
Échange de mails avec Marie-Jeanne Musiol
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Sent : Saturday, September 16, 2006 11:46 AM
Subject : Re : Artousiders/Musiol
Selon vous les ondes électromagnétiques pourraient symboliser une émotion, un sentiment… elles seraient l’émanation d’un corps.
Les ondes électromagnétiques ne sont pas à priori symboliques mais concrètes. Elles traduisent en temps réel l’état observable des plantes dans un champ de lumière. La saison, le temps de la journée, le cycle lunaire et bien d’autres facteurs influencent les configurations lumineuses. Aussi, le fait de les couper, de les mutiler laisse des trous noirs dans leur champ de lumière. La magnétisation par les mains ou par la pensée directe restaure la brillance de la couronne là où elle était disparue.
Elles seraient comparables à un flux vital…une idée ?
Le rayonnement est le pendant visible de ce que plusieurs personnes sentent par le toucher – un champ d’information qui varie selon l’état physique et psychique du corps biologique et de ses interactions.
Un mort serait-il alors délesté de son aura ?
Dans ses expériences, le Dr Konstantin Korotkov a examiné les émanations lumineuses des cadavres et constaté qu’après de nombreuses fluctuations, la couronne lumineuse se stabilisait au bout de trois jours. Dans mes expériences avec les plantes cependant, la couronne disparaît entièrement au bout de trois jours. Est-ce une disparition ou une translation en-deça des ondes électromagnétiques qui, nous savons, voyagent à la vitesse de la lumière ?
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Sent : Friday, September 01, 2006 8:06 PM
Subject : Re : Artousiders/Musiol
La frontière qui sépare le visible de l’invisible serait dépendante de la fréquence des ondes lumineuses. Comment alors redéfinir l’image dans votre travail ? Elle n’est plus représentation mais saisie, capture de ce que nous ne pouvions voir à l’oeil nu, mais pourtant, elle se présente comme une simple photographie.
Effectivement, une limite absolue est posée par la vitesse de la lumière qui est aussi celle des ondes électromagnétiques. Ce que je capte demeure de l’ordre du visible et explore la nature du lumineux et de ses manifestations. Tout en continuant d’enregistrer le champ de lumière des plantes, j’ai voulu aller voir de quoi était faite au juste la couronne brillante qui les enveloppe. Quelle en était la nature, la forme ? Le constat est étonnant. Je suis entrée avec un outil numérique dans un négatif analogique pour y découvrir un monde saisissant qui est l’image miroir du cosmos. Configurations d’explosion, cocons ou lumière soufflée, trous noirs constituent cette topographie qui fait écho au monde cosmique. Toutes ces configurations sont enroulées si on peut dire dans la lumière consignée sur le négatif photographique et révélée par le numérique. Je termine une vidéo où des itinéraires dans le champ lumineux de plusieurs plantes vont plonger dans cet univers matériel irradiant.
Comment en êtes-vous arrivé à cette technique de capture des ondes ?
Dans les années 90, je faisais un travail photographique dans le camp d’Auschwitz. Les limites de la photo me sont apparues à ce moment dans toute leur étendue. Celle-ci était incapable de rendre de façon immédiate l’expérience subjective que je faisais des présences encore actives dans ce lieu. Il fallait une fois de plus recourir à la métaphore ou à d’autres moyens pour exprimer un état de nature énergétique. Je me suis mise en quête d’un outil qui permettrait de capter la réalité énergétique immédiate. La photographie électromagnétique s’est présentée pour résoudre ce dilemme. Depuis, je l’emploie pour rendre visible la « forêt radieuse » que Goethe éprouvait comme un éblouissement mystique.
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Sent : Wednesday, August 23, 2006 9:12 PM
Subject : Re : Artousiders/lacritique.org
Quels ont été les enjeux qui ont accompagné la réalisation de vos photographies présentées au festival ?
Avec la photographie électromagnétique, nous pouvons capter la couronne lumineuse des corps biologiques et enregistrer les effets de diverses actions sur l’intensité du champ. Depuis plusieurs années, j’élabore un répertoire de configurations énergétiques de l’empreinte des plantes et des pensées-formes qui modifient le vivant se manifestent dans la lumière.
Dans l’installation Corps de lumière, des boîtes lumineuses s’allument et s’éteignent dans le noir au passage du visiteur pour créer la perception d’un univers naturel irradiant, petit cosmos éclairé de l’intérieur et par les intensités variables d’une vidéo.
Cette « fort radieuse »de dessins lumineux, métaphore du saisissement que Goethe éprouvait déjà dans la nature avec une rare intensité, constitue aussi un ensemble emblématique de ce que pourrait être une botanique « énergétique ». Chaque espèce végétale possède son empreinte lumineuse. Cette empreinte peut-elle s’ajouter aux observations factuelles qui caractérisent en ce moment la description du vivant en botanique « La lumière, ses fréquences et l’information qu’elle véhicule peuvent-elles augmenter la connaissance tout en nous faisant accéder par l’art à un autre niveau de conscience »
A ce moment précis de l’évolution, nous percevons moins les corps comme des masses solides que comme des capteurs et des interfaces pour l’incessant flux des ondes qui les traversent à différentes intensités. Ces ondes nous guident vers des états de la matière apparente n’est plus la référence absolue. Quelle image donner alors de cette matière comprise autrement ?
interview avec Jocelyn Robert
Echange de mails avec Daphné Le Sergent
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Sent : Tuesday, September 05, 2006 5:42 PM
Subject : Re : Artousiders/lacritique.org Quel est l’impact du mythe de Sisyphe aujourd’hui « Ressentez-vous un détachement face au monde » Une absurdité sans fin ?
Pas pour moi-même, mais pour cette espèce de « limbes héroïques » dans lesquelles nous plaçons nos personnages repères. Ainsi, Tesla ne sera jamais plus une personne qui aimait les souliers vernis ou qui mettait du sel sur ses tomates : ce ne sera plus, éternellement, qu un inventeur de génie excentrique.
Vous parlez de passant, de personne non-identifiable, d’un sujet qui ne saurait se positionner par rapport à l’histoire. Est-ce une errance qui trouve symbole dans l’image de l’onde électromagnétique, qui elle aussi, est fluctuante, et se délivre dans la répétition ?
Peut-être pour le passant, mais pas à mes yeux en ce qui concerne l’électromagnétisme. Je trouvais plus intéressant de considérer l’électromagnétisme comme « contexte mythologique » dans lequel Tesla est place, encadre, enchasse.
>>Sent : Wednesday, August 30, 2006 2:16 AM
>>Subject : Re : Artousiders/lacritique.org
>> Ce héros, que l’on voit dans votre vidéo (ou devrait-on dire un avatar « ), quelle histoire, quel mythe rejoue-t-il »
C’est en fait un anti-héros, et le mythe s’approche de celui de Sisyphe. C’est un anti-héros au sens où il n’est pas identifiable, que c’est un quidam, un piéton, quelqu’un qui passe… mais qui oscille dans sa position relative avec l’histoire.
Ça pourrait être Tesla, qui pourrait aussi n’être qu’un passant, si ce n’était de notre besoin de lui faire revivre sans cesse les moments de sa vie qui nous semblent, à nous et à quelques décennies d’écart, importants.
>>>>—– Original Message —–
>>>>Sent : Monday, August 21, 2006 5:03 PM
>>>>Subject : RE : Artousiders/lacritique.org Quels a été l’enjeu – quels ont été les enjeux – qui a accompagné la réalisation de votre pièce( présentée au Festival Artoutsiders ?
Au départ, ce qui m’a le plus frappé était ce besoin d’avoir une référence humaine, ce que l’on appelle un héros, pour le domaine des arts médiatiques. Et la conjonction de l’aspect mystérieux, voire métaphysique, des phénomènes de rayonnement avec ce besoin d’une figure héroïque m’a semblée encore plus révélatrice d’une situation instable en ce qui concerne le rapport que l’on entretient avec les nouvelles technologies. C’est donc la nécessité vécue de l’inscription des nouvelles technologies dans la mythologie contemporaine qui m’a d’abord intéressé.