Depuis le « tuons le clair de lune » du 2e manifeste futuriste de 1909, l’électricité, en bafouant le monde de l’art au niveau des conceptions et du regard, continue à nous procurer des surprises. D’abord, source d’inspiration, parcourant différentes écoles et styles, la lumière, comme thème, comme matériau ou comme support est toujours présente dans l’art contemporain.
L’exposition ON/OFF qui a ouvert en quelque sorte la partie arts visuels de l’année culturelle et qui s’étend sur différents lieux dans les trois villes voisines impliquées dans Luxembourg et Grande région, Capitale Européenne de la culture, en est un exemple « éclairant ».
Les trois commissaires, directeurs artistiques respectifs des centres d’art contemporain de Luxembourg, Metz et Saarbrücken ont réussi à réaliser une grande exposition sur le thème de la lumière et de son corollaire, l’obscurité. Si on connaît un peu les programmations du Casino Luxembourg et du FRAC Lorraine on comprend qu’après le succès de« Joy », Enrico Lunghi ait opté pour la lumière comme élément spectaculaire en confrontant « ses » propositions artistiques « outdoor » aux illuminations de la ville de Luxembourg pour les fêtes de fin d’année.
D’où le défi pour les trois artistes qui ont choisi de travailler directement dans la ville. Dans ce projet international en collaboration interrégionale le sujet du pont s’imposait presque par son symbolisme primaire et ses relations avec l’histoire de la ville de Luxembourg et en même temps la réalisation des oeuvres in situ lançait des nouveaux défis techniques et technologiques.
L’oeuvre subtile de Mischa Kuball avec sa « guirlande » d’ampoules électriques blanches dessinant la structure du pont du Viaduc à l’envers a eu du mal à s’ imposer dans cette forêt de lumières que constitue le décors de la ville en hiver.
Difficilement visible est aussi l’oeuvre de Michel Verjux avec ses cercles projetés sur le pont Adolphe qui pointe les aléas de la vision selon qu’on se situe par rapport à cet objet fonctionnel et symbolique à la fois. Simone Decker, fidèle à son principe de renversement d’échelle a reconstruit l’énorme pont rouge (pont Grande Duchesse Charlotte) en version passerelle pour piétons, mais en tissus et donc interdit d’accès. Son revêtement blanc s’illumine uniquement par la projection des phares de voitures qui longent les rues avoisinantes. L’astuce de cette réduction est que l’artiste prévoit une réutilisation de cet objet sous forme de table blanche à l’intérieur du musée, une autre façon d’y retrouver l’élément communicationnel.
L’exposition au Casino Luxembourg-forum d’art contemporain s’ouvre sur une oeuvre éblouissante de Carsten Höller qui invite chaque visiteur à monter sur les planches pour évoluer dans un dispositif en forme de Y entouré de miroir et d’ampoules qui projette son image à l’infini. Juste derrière dans l’aquarium se trouve l’installation de John Armleder qui par son travail répétitif d’alignement de boules miroitées rend hommage aux soirées de bal qui ont eu lieu jadis au casino bourgeois. Jacques Charlier a aussi voulu associer la lumière à la fête dansante en créant un espace disco où le spectateur se lance dans le rythme des éclaboussures de la peinture murale peinte à la main.
Dans nombreuses installations la participation du spectateur est demandée. C’est le cas d’une oeuvre de Ann Veronica Janssens qui trace la forme de l’étoile perceptible uniquement selon un certain point de vue.
Plus intrigant est le travail de Marie Sester artiste, qui réussit merveilleusement à mettre le doigt sur les dérives de nos systèmes de surveillance par une installation complexe (un écran tactile reproduit la vision du système de surveillance) à laquelle le spectateur se laisse prendre au jeu, de sorte à alterner les rôles de « poursuiveur » et de « poursuivi ».
Pour ne capter que des bribes d’une centaine de mots programmés et renvoyés à travers des fentes lumineuses des tableaux monochromes de Ruth Schnell, le spectateur est obligé de bouger la tête en se plaçant face à l’oeuvre. Chaque spectateur perçoit des lettres selon le mouvement qu’il fait et essaie de les traduire en mots. Du cognitif, de l’affectif et du perceptif se mélangent sublimement dans cette oeuvre intitulée Pattern of perception.
L’effet de la perception comme trace ou empreinte, avec une dimension plus physique, se retrouve dans l’oeuvre de Peter Kogler. Le spectateur est soudainement pris dans le processus de révélation du dessin mural de fourmis géantes qui apparaissent grâce à une lumière, pilotée par un programme informatique, projetée sur les murs recouverts de peinture phosphorescente. Au travers d’ images fragmentaires mais structurées, les tracés forment une espèce de réseau qui renvoie aussi par le choix du thème de la fourmis à notre organisation sociale et politique.
L’installation de Hsia-Fei Chang est composée d’enseignes lumineuses qui rappellent ses origines taiwanaises . En mélangeant les cultures, les signes, les lettres et les symboles, l’artiste recrée une ambiance poétique qui détourne la fonctionnalité urbanistique des enseignes publicitaires en espace ouvert à l’imaginaire et aux fantasmes par une combinatoire iconographique légère et caustique.
Détourner les supports destinés aux annonces publicitaires dans l’espace urbain pour faire passer un message personnel a été longuement exploré depuis les années 80 par Jenny Holzer. Les phrases qui défilent dans l’oeuvre « Erlauf » au Casino font référence à un projet de mémorial pour la paix se trouvant en Autriche.
Avant de quitter le Casino le spectateur est intrigué par l’oeuvre de Tobias Rehberger qui présente une lampe et un interrupteur en copie conforme avec Saarbrücken qui sont reliés par un système électronique très sophistiqué qui permet uniquement d’allumer et d’éteindre « l’autre ». Si la lampe est allumée à Luxembourg, c’est que qu’un spectateur à Saarbruck a poussé sur l’interrupteur. Cette installation interactive questionne aussi nos pratiques virtuelles en temps réel en cachant l’effet de notre acte et en transformant ce geste banal en acte artistique.
« On » ou « Off », voilà la question. Le 49 NORD6 EST FRAC LORRAINE à Metz, comme il fallait s’attendre avec Beatrice Josse, a opté pour le OFF, évidemment. L’exposition commence avec l’oeuvre emblématique d’Eric Rondepierre de la série Voyeur… « j’éteins ? Non » qui pose la question ontologique de l’oeuvre d’art contemporaine. Tout au long de l’exposition le spectateur se fraie un chemin à travers des couloirs obscures, des installations dans la pénombre, des projections de films manipulés par des filtres informatiques comme en témoigne la magnifique oeuvre de Sebastian Diaz Morales, « Lucharemos hasta anular la ley » de 2004.
Le spectateur déambule dans ces lieux dantesques et au milieu de son chemin, comme l’ouverture de l’inferno … « nel mezzo del cammin di nostra vita, mi ritrovai per una selva oscura.. » il découvre l’énigmatique installation de Steve Mc Queen aux contrastes saisissants.
Entre paradis et enfer, entre « on » et « off » faut-il choisir ?