Le très peu de traits ici fascine. Comment la figure s’extrait de l’apparent monochrome : avouer comme une naissance, ou oser tenter une épiphanie ? Ce qui se décalque et joue dans et contre l’architecture picturale de l’identique est une forme-image qui exige la minutie de notre intervention dans l’exigence formelle d’un regard. Trois œuvres d’une série plus complète de Timothy Perkins à la galerie Quang requièrent le plus clair de notre temps pour se mettre au jour.
Oui ! nécessaire mise à jour, mise à vue de cette œuvre dans ce qu’est le destin du dessin contemporain. Lente expérience de mise au net de ce concert de basse de traits, crayon sec sur papier non préparé. Le réseau infime se relaie de quelque geste pointé, peu de repentir : ici n’est pas territoire de la gomme. La progression du trait sur le papier est aussi légère que ferme et assurée pour ce qui se dresse irrémédiablement figure, non pas anthropomorphe mais humaine vraiment dans sa fragilité comme dans son incertitude. Poème de la présence et roman de l’absence dans la même dramaturgie tractée à bout de mine. Nulle part il n’y a dépôt, mais partout s’ouvrent des chemins de graphite, a minima, a contrario de la société hurlante des images.
Si l’on doit trouver œuvre ascendante à cette série ce serait bien sûr chez Giacometti, pas forcément le peintre et dessinateur et la lourdeur auratique de ses esquisses multiples qui empâtent le visage dans ses devenirs, non Giacometti le sculpteur qui réalisa notamment cette statuette haute de quelques millimètres et où ce qui résiste de la figure humaine témoigne pleinement.
La douche de lumière blanche où Vanessa Quang a eu l’intelligence de présenter le « focus sur Timothy Perkins » prolonge l’œuvre qui mérite cette luminothérapie, deux dessins et une toile sont ici suffisants pour deviner toute l’exigence d’un univers très contemporain, quand tant de philosophes témoignent de la virtualisation de l’humain.
Tout se joue apparemment dans le plan, mais ce n’est qu’illusion si la face apparaît comme en réserve du fond. Pour comprendre cette alchimie j’ai soudain besoin de faire venir à votre regard autant qu’à mémoire l’annonciation des Offices de Florence peinte par Simone Martini en 1433 où la figure de l’ange se révèle dans le distinguo d’un or sur fond d’or. Cette confusion dans une même matière du fond et de la figure, la transformation de la nature corporelle qui en résulte forge sa pleine connivence avec le principe même de l’annonciation.
Oui ces peintures, sans titre en toute absence revendiquée de narration, sont des anti-icônes. Elles ne professent rien ni ne témoignent, si ce n’est du travail pictural. Les couches d’une même peinture à l’huile dans l’étroit camaïeu de gris blanc ne sont pas sensibles à première vue. Ces œuvres ne font pas non plus palimpsestes puisqu’elles ne taquinent aucune esthétique de la mémoire, elles sont toutes vives dans le plan réactivé du plan de la toile.
L’introduction de valeurs dont le peintre chorégraphie la surface interviennent comme a posteriori, il dit et fait s’impliquer pour nous « silence, temps, tensions, histoire ». C’est pourquoi nous sommes pris dans la fascination face à ces œuvres par ce qu’elles exigent de nous les mêmes qualités, méditation pour silence, patience d’un temps propre à défaire les forces en tension, énergie utile à l’expérience intime de l’œuvre, modestie d’écoute d’une histoire des formes où ce qui est menacé de l’humain résiste encore, en filigrane du peu de matière , mais avec brio.