Le Domaine de Kerguéhennec réunit un parc de sculptures, une programmation d’expositions d’art contemporain, un fond d’œuvres de l’artiste Tal Coat ainsi que des espaces de résidence. Olivier Delavallade, directeur artistique permet à des artistes d’être accueillis pour un temps de création et de recherche dans un cadre de nature. Venir dans ce domaine est, pour le visiteur, une expérience d’un temps suspendu à la rencontre du paysage, de l’architecture, du patrimoine et de l’art contemporain. D’une déambulation à la découverte des œuvres en relation avec la nature, la visite du château et des autres espaces nous amène à observer les liens entre l’art, l’architecture et la nature.
Le motif de la fleur, qu’on aperçoit plus comme motif architectural que dans le parc, lui est apparu au regard de son intérêt pour les œuvres de trois artistes Janos Ber, Marie-Claude Bugeaud et Charles Maussion. Avec « Flora Maxima », il nous invite à découvrir des artistes pour lesquels le végétal est un motif récurrent dans leur pratique et d’autres dont il a choisi de mettre en lumière une œuvre.
Les deux espaces communs du domaine, les anciennes écuries et la bergerie, avec leur particularité architecturale a incité le directeur artistique à diviser les espaces pour nous faire profiter d’un ensemble d’œuvres d’un même artiste. Si cette exposition nous renvoie à un motif de l’histoire de l’art, elle est surtout l’occasion de dévoiler des travaux d’artistes dont le végétal fut un pas de côté dans leur carrière et de montrer une diversité de techniques, de médiums, parfois un entrelacement de plusieurs et de présenter diverses manières d’aborder les relations entre fond et forme, figuration et abstraction.
Le titre renvoie au floral et ouvre vers l’ordre du vivant. La fleur est ici prétexte pour mettre en lumière ou redécouvrir des œuvres d’artistes contemporains de différents univers où il est question aussi bien de botanique que de la puissance du végétal, de ses formes et des relations que notre corps peut entretenir avec la nature. Si la plante est partout, présente à la fois comme motif dans l’architecture, décor, dans les peintures, où jardins et paysages suscitent notre intérêt de visite et de promenade, elle appelle à des dimensions beaucoup plus larges, notamment celle de notre perception de l’environnement, du proche au lointain. La fleur exprime la vie et convoque la fragilité, l’éphémère, le temps.
Le parcours de l’exposition débute avec une série de dessins de roses de Janos Ber. Marginale dans sa production, ce thème reflète son travail sur la ligne et sur les jeux de transparence. Changement d’atmosphère avec une série de peintures de Marine Joatton. Elle déploie une grande énergie à peindre ses fleurs. Puis comme une suite picturale, les œuvres de Charles Maussion présentent des effacements, des couches de matières, une manière de faire apparaître la forme organique.
Manuela Marques, qui fut en résidence au domaine de Kerguéhennec, s’est attaché à photographier des graines, dans leur élan. Ses images donnent à voir une envolée, une danse de ces éléments naturels. Ce saisissement de l’évanescent se retrouve dans les cyanotypes de Joseph Nadj. Danseur, chorégraphe et photographe, il dévoile des instants d’une nature perçue en bord de Loire. Ces deux artistes captent des phénomènes, l’imperceptible, le furtif.
Chez Christine Crozat, la plante est liée au corps humain. Sa série Hommage à des personnes qui ont perdu leur jambe présente une osmose entre le corps et le paysage. L’absence, le manque, ce corps fantôme s’inscrit en douceur dans les végétaux. L’artiste par son travail sur les superpositions de calques fait surgir des souvenirs, des sensations vécues.
Le végétal pour certains artistes est lié à un parcours, à une exploration, à la collecte, à une attention pour témoigner du fonctionnement du vivant. Un ensemble d’aquarelles de Sylvain Le Corre, qui fut récemment en résidence au domaine, témoigne de son attention aux éléments vivants, champignons, plantes, insectes. L’artiste dépasse la dichotomie vie et mort pour privilégier des hybridations, une renaissance, de nouvelles créations où se mêlent différents ordres du vivant. Ses œuvres nous invitent à regarder avec attention les petits éléments naturels qui habitent notre environnement. Un guide de découverte où il a pris soin de représenter des végétaux et les œuvres du parc qu’il a observé vient récemment d’être édité.
Une série d’œuvres de Bernard Joubert trouve ici sa place, installée en constellation sur un grand mur. L’artiste donne un nouvel éclat à des planches d’encyclopédie florale. Ses touches de couleurs font écho à des peintures de Cézanne, dont il s’inspire. Il donne vie, du mouvement à ces représentations florales botaniques. Son accrochage renforce cette sensation de flux, de dispersion des feuilles et des pétales.
Une peinture de Marie-Claude Bugeaud attire le regard au loin. Ses collages de papiers découpés jouent avec un fond et de forts contrastes de couleurs. Ses œuvres montrent des formes organiques qui suggèrent des pétales, des fleurs, une possible envolée. Chez elle, le travail des matières suscite un aspect haptique. Nous avons envie de toucher, une impression qui rappelle celle du contact avec les végétaux.
Parler de la fleur renvoie aussi à la notion de vanités. Les peintures de glaïeuls de Damien Cabanes témoignent de trois temps du végétal. L’artiste, par ses gestes de peintre, révèle le profil de cette plante. Il traduit aussi bien sa tenue que sa fragilité. Ses portraits de fleurs expriment un mouvement.
Les frondaisons, huile sur papier thaïlandais, d’Anne Tastemain font écho à des branches, à des éléments qu’elle a régulièrement observé dans les jardins. Ces lignes manifestent une fluidité, où la différence d’intensité d’épaisseur de matières suggère ce moment où les feuilles d’un arbre commencent à pousser, une étape où le vide des branches se remplit peu à peu. L’artiste représente cet événement avec grande finesse et ses peintures se rapprochent de l’abstraction.
L’exposition se poursuit dans le château où une des salles est consacrée à l’œuvre de Bernard Moninot. En captant La mémoire du vent, l’artiste fait apparaitre des lignes, traces de présence. Si on ne lit pas de prime abord un dessin de végétal, ses dessins font aussi penser à des radicelles, ou bien à des vues au microscope d’éléments invisibles à l’œil nu.
Cette exposition révèle ce qu’il y a au-delà de ce motif qui inspire tant les artistes. N’y a-t-il pas au travers du végétal des notions d’évanescence, d’apparition, de croissance et de développement ? Les œuvres ici présentées nous montrent que de la ligne et des formes peuvent surgir l’image d’une plante. Certaines renvoient à l’attention que l’individu peut avoir envers cette nature, fragile, témoin du temps qui passe. D’autres nous incitent à raviver des souvenirs de présence au monde, d’observation botanique, d’un lien de notre corps aux éléments naturels.