« Georgia » est le troisième livre de Ljubisa Danilovič publié par David Fourré pour Lamaindonne après « Le désert russe » en 2015 et « La lune de Payne » trois ans plus tard. Après avoir beaucoup voyagé en tant que reporter en Inde, aux États-Unis et en Afrique et rejoint en 2001, l’équipe de photojournalistes du pôle magazine de l’agence Boomerang, dont Patrick Chauvel avait pris la direction il décide de mener un projet alliant son propre parcours depuis son Montenegro natal et celui de migrants internationaux. Ce livre est la résultante de cette singulière démarche d’autofiction documentaire.
Une homonymie va servir de prétexte déclencheur de toute sa démarche. Une recherche de son patronyme sur internet , lui fait croiser le destin d’un certain Ljubiša Danilovič, jeune Monténégrin de dix-neuf ans, qui en 1906 est en partance pour les Etats Unis sur le bateau Georgia , situation dont témoigne la fiche 23 de l’Office d’Immigration du Port, reproduite au début du livre. La destination finale de ce voyage comme celle de beaucoup de Monténégrins et d’Italiens de l’époque était la ville minière de Butte, dans le Montana. Le livre s’ouvre sur un portfolio d’images noir et blanc pleine page de la mine et de son actuel environnement urbain.
Pour donner corps à son pseudo double ancien, il rédige plusieurs lettres que celui-ci aurait adressé à sa soeur et à un religieux qui aurait financé son voyage en lui offrant une icône qu’il aurait pu revendre. Elles ponctuent les autres chapitres qui regroupent les portfolio couleurs réalisés à la rencontre de la jeunesse de son pays. Intitulé Sevdah pour désigner une forme de vague à l’âme il regroupe paysages dans la brume et portraits de cette jeunesse souffrant dans un pays sans avenir pour eux.
Avec le titre paradoxal EDEN, Cendres le portfolio suivant parcourt le Montenegro et la côte adriatique où il croise des gestes humains d’une vraie beauté comme ce jeune homme devant la mer serrant dans ses bras un jeune garçon . Le voyage se poursuit vers les Balkans, Paysages de l’exil où les conditions de survie se dégradent, on y est accueilli par d’imposants portails métalliques clos et surmontés de barbelés. Les squats d’anciennes usines, les maisons détruites, les fourrés recouverts de vêtements abandonnés constituent le décor quotidien de cette fuite en avant collective. Des files d’attente suggèrent l’accès imposé à des aides alimentaires. L’habitat se résume à ces extrêmes un pavillon bourgeois tout hérissé de barbelés ou un campement de tentes individuelles de survie, avec à l’horizon l’ironie d’une enseigne Matmut, alors que ces immigrés sont privés de tout.
Si ces portraits réalisés pour la plupart en même temps que des entretiens sont relativement paisibles, parce que produits dans une relation de confiance, l’un d’entre eux apparait plus dramatiquement documentaire, un migrant se cache les yeux pour montrer un cliché sur son portable révélant un dos lacéré de coups.
Le portfolio Un pont sans rives servant d’épilogue au livre est constitué de portraits de migrants plus âgés issus de différentes nationalités ayant passé leur vie loin de leur pays de naissance, ils ont été rencontrés au refuge solidaire de Briançon à la frontière franco-italienne. Alors que tout le début du livre portraiture une génération jeune ces figures d’anciens révèlent la volonté de témoignage universel du photographe sur ces migrations internationales.