Né en 1928 et associé au mouvement constructiviste Gilbert Decock vient de mourir à Knokke où il vivait, à Bruxelles une de ses réalisations figure dans la station de métro Arts-Loi. A Paris nous avions pu découvrir ses célèbres oppositions de cercles et carré, blancs et noirs grâce à Richard Dehl , puis dans le même galerie à St’art 2003 à Strasbourg. Pour rendre hommage à ce parcours exigeant nous reprenons ici deux textes, l’un de Jack Fontier (membre de l’AICA) et des extraits de la Monographie réalisée par Serge Goyens de Heusch, docteur en Histoire de l’ Art , diplômé de l’université de Paris Sorbonne. Richard Dehl qui vient de rouvrir la K. A. D. Gallery dans la capitale belge écrivait au moment du décès :
« Gilbert nous a quitté après une longue maladie, ce dimanche 23 septembre 2007
Son humilité et sa foi l’ ont soutenu dans une dignité égale et fidèle à sa création.
Son oeuvre restera à jamais gravée dans notre mémoire ».
Le RECIT GEOMETRIQUE D’UNE VIE
La figuration de Gilbert DECOCK est muette, elle se situe au delà d’une parole sonore.
Elle fait oublier le temps et l’espace.
Elle est à mi-chemin de l’expiration et de l’inspiration.
Pour celui qui parvient à passer du voir au savoir, elle existe en tant que transcendance cristallisée en une force formatrice pure, coulée dans le moule d’un langage et d’une mesure universels, empreinte de vérité, de véracité et de réalité.
Le souci de la perfection,
de la sérénité parfaite et de la paix
se manifesta dans un traitement
de la couleur éludant autant que possible
la matérialité visible.
Jaak FONTIER – 2003
GILBERT D E C O C K Monographie
En vertu de ses racines profondément ancrées dans la terre de Flandre occidentale, on aurait pu s’attendre à voir GILBERT DECOCK puiser les ressources de son art dans ce puissant courant réaliste qui depuis les Primitifs ne cessa de nourrir la peinture flamande, ou bien se soumettre aux atavismes de ce fanatique nordique qui féconda par exemple le génie d’un Ensor ou d’un Spilliaert ? Mieux encore, face à ce Flamand de la côte, à cet homme plutôt taciturne aux allures carrées, ils n’eut pas été étonnant non plus de découvrir une peinture perpétuant cette veine expressionniste et permekienne qui conféra, durant la jeunesse de l’artiste , son identité fondamentale à l’art de la Flandre.
Et pourtant lorsque GILBERT DECOCK se sentit appelé par la peinture , ce n’est dans aucune des ces directions qu’il engagea son art. Non seulement il se détourna vite de toute peinture qui reproduisait, ne fut-ce qu’allusivement , la réalité visuelle, mais il opta en outre, et sans la moindre équivoque , pour l’abstraction la plus intransigeante qui soit, celle où règnent la géométrie plane et la couleur en aplat.
Il y a plus de trente ans à présent que GILBERT DECOCK subit la même fascination impérieuse pour quelques formes élémentaires – le cercle -, le carré et le triangle – , des structures primaires privilégiées par lui comme pour écarter le désordre de la nature et opposer à ses hasards, nés de l’action anarchique de la libre énergie, la pureté des principes simplificateurs. Si la Flandre a compté généralement moins d’adeptes de l’abstraction géométrique que d’autres contrées européennes, DECOCK n’a pu ignorer que c’est le génie nordique qui engendra cependant l ‘esthétique du “ stijl” , que Jozef Peeters et Georges Vantongerloo furent au cours des années 20 les pionniers flamands de ce que le premier appela “ de Zuivere Beelding” ( la Plastique Pure), et que plus près de lui, Luc Peire, un peintre de sa région et son aîné de quelque vingt ans, allait porter, avec toute l’intransigeance qu’on lui connut, le flambeau de l’abstraction construite parmi la génération de la “Jeune Peinture Belge”.
(…)
Avec les années, l’art de GILBERT DECOCK allait se personnaliser d’avantage ; dès 1967, s’imposeront dans son langage abstrait quelques principes d’organisation récurrents qui marqueront le style de l’artiste et dont le plus manifeste consistera dans un dialogue privilégié entre le cercle et le carré, le premier s’inscrivant dans le second, et de manière centrée par rapport à l’ensemble de la composition. Dialogue ascétique, d’un minimalisme audacieux, qui permettra cependant au talent du plasticien de s’épanouir en une multitude de variation formelles aussi bien dans les huiles sur toile que dans les sculptures plates et évidées, sortes de stèles majestueuse en bois ou en métal peint qu’il commençait à réaliser. A l’instar de quelques grands initiateurs de l’abstraction tel que Kupka qu’il admira tant dans sa jeunesse, Kandisnky, Herbin ou Peeters, GILBERT DECOCK confère volontiers aux formes géométriques qu’il privilégie un contenu symbolique et spirituel qui, sans porter l’artiste à un quelconque égarement littéraire, justifie peut être, ou explique en partie, la nécessité intérieure guidant ses expériences picturales. Dans la présence du cercle et du carré qu’il ne cesse d’assembler, de marier , et qu’il présentera bientôt sous forme de diptyque, DECOCK aperçoit la relation possible entre Dieu et l’homme, entre le ciel et la terre : opposition dialectique de l’infini au fini, de l’esprit à la matière, de l’âme au corps, ces deux formes géométriques parmi les plus élémentaires, à la fois inconciliables dans certaines de leurs relations mathématiques et pourtant combinables à l’infini dans l’ordre visuel, entraînent l’artiste vers une source de méditation à la fois poétique et métaphysique, qu’il ne cessera désormais de pratiquer dans son art.
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Œuvrant toujours avec cette calme sérénité qui caractérise son art, sans cesse à l’écoute des incitations de sa propre dictée des modes, GILBERT DECOCK en est arrivé, ces dernières années, à simplifier encore davantage les éléments formels qui constituent l’ensemble de la composition de ses tableaux. A présent, on peut dire qu’il joue plus sur la ligne que sur le plan : un filet blanc de quelques millimètres d’épaisseur crée des périmètres arrondis ou angulaires qui se refuse cependant à fermer complètement la forme. Les structures ouvertes ainsi obtenues permettent à DECOCK un dialogue des plus aériens entre formes semblables (tel carré oblique s’imbriquant dans un carré disposé perpendiculairement) ou formes opposées : l’artiste trouve ici, de la manière la plus simple, à visualiser le mariage le plus riche qui soit, mais aussi le plus invraisemblable, entre le carré et le cercle.
Il s’agirait en quelque sorte d’une nouvelle étape dans le cheminement plastique aussi bien que spirituel de l’artiste, une étape qui ne ferait que confirmer la destinée de cette œuvre, à savoir de tendre vers le dépouillement le plus éloquent, c’est-à-dire vers cette qualité rare qui consiste à dire plus en faisant moins. Une telle réussite semble liée à une expérience intérieure et une longue pratique des formes, lorsque s’affirme tout naturellement une connaissance des proportions et des rythmes. Alors l’artiste parvient à réduire ses constructions à l’essentiel, sacrifiant sans effort tout ce qu’il juge secondaire. L’art de GILBERT DECOCK a atteint une telle austérité tant dans la forme que dans la couleur, un tel dépouillement serein dans l’expression, qu’il ne serait pas outrecuidant d’apercevoir en celui-ci une dimension véritablement cistercienne. Rien d’étonnant alors si l’artiste se souvint avoir éprouvé de secrètes affinités avec la sobre architecture romane de l’abbaye du Thoronet qu’il visita en 1975.
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Il est presque certain que GILBERT DECOCK n’imagine guère son abstraction à partir du réel, pas plus que celle-ci ne se réduirait à un processus simplificateur tenant à dégager la structure formelle de tel objet perçu par le peintre. Peut -être même s’agirait-il d’un processus inverse, à savoir que l’artiste soumettrait à la réalité qui l’émeut, à une grille personnelle, à un système structural de formes privilégiées qu’il a élaboré progressivement, au rythme de ses interrogations plastiques, et qui a donc pu se transformer au gré des années.
Car à partir du moment où l’on accepte que l’artiste , de toile en toile, ne cherche qu’à établir cette immobilité de la manière la plus parfaite, une immobilité rare qui tout à la fois engloberait les mouvements les plus variés et les annulerait , comment ne pas le suivre pas à pas dans cette quête inlassablement reconduite au cours de laquelle quadrangle, triangle et cercle tentent d’apprivoiser la musique des sphères, de se fondre à la mélodie infinie d’un univers ordonné dans des rythmes toujours semblables ? A cet égard, il est symptomatique d’entendre GILBERT DECOCK avouer que ce qui l’intéressa depuis son enfance , et ce qui motiva sans doute sa vocation d’artiste, c’est de “créer de l’ordre” . Mais un ordre transcendant qui ne puisse s’exprimer qu’au travers des harmonies de l’esprit…. .
Serge GOYENS de HEUSCH – 1995 –