Gold ou le palimpseste doré, dans l’art du XXème siècle, au Belvedere, Vienne.

L’exposition Gold au Musée du Belvédère à Vienne, en Autriche, rassemble plus de 200 œuvres de 120 artistes du XXème siècle qui ont travaillé ce métal rare et précieux, l’or. Celui-ci règne en maître absolu au Musée du Unteres Belvedere et à l’Orangerie, Prunkstall, la salle des conversations du 15 mars au 17 juin 2012. Peintures, sculptures, vidéo, installations…Œuvres dorées à la feuille, or de 18 ou de 24 carats…or mat…déclinaison de cette matière rare, luxuriante et « chère »…l’exposition Gold pose intrinsèquement la question de l’art dans sa relation à l’argent.

Mais le « combien ça coute ? » qui trouve rapidement une réponse presque enfantine, n’est pas le propos de cette exposition hors du commun. Plus de 200 « pépites » d’art contemporain utilisant cette matière sacrée, dont l’éclat n’est jamais éphémère, sont exposées et disposées dans des salles thématiques. Des œuvres de John Armleder, Georg Baselitz, James Lee Byars, Sylvie Fleury, Richard Hamilton, Yves Klein, Imi Knoebel, Emil Orlik, Gerhard Richter, Gerwald Rockenschaub, Victor Vasarely, Andy Warhol, Frank West…pour n’en citer que certains.

La scénographie, d’une clarté déconcertante propose un parcours multiple de l’utilisation de l’or dans l’art du Moyen Age à nos jours. Les différentes salles au sein du Unteres Belvedere s’organisent en thématique : la première salle Historical Overview propose une approche diachronique rapide certes. La salle Frames, cadres, la salle Landscapes, paysages, la salle des Natures Mortes, Still Lifes ,Gaze into the city regards sur la ville, Form of the sacred, les formes du sacré.

Le spectateur ébloui, dès le premier regard face à tant d’or rassemblé, s’élance donc dans un parcours savamment guidé. Une des premières œuvres, un veau en or. Le ton est donné. L’émotion l’emporte vite sur la surprise. Elle s’élance comme un chant doré bien orchestré. Danse autour d’un élément solide, vénéré, parfois obsessionnel. Le spectateur ne devient pas pour autant chercheur d’or, mais arpenteur d’un trésor de beauté.

Illumination. Lumière intérieure. L’or « domine » le monde. En art, il sublime le bois et lui donne sa dimension sacrée. Il a au cours des siècles, vêtu les mosaïques dès l’antiquité, habillé les tombeaux des égyptiens, enluminé les manuscrits du Moyen-âge, les icones, les croix. Plus tard, il a orné les représentations bibliques… Il excelle dans l’Art Nouveau et dans l’Art Japonais, dans l’œuvre de Klimt, de William Blake. Matière qui est l’expression du sacré sur terre, il confère une spiritualité à l’objet doré. Dénoncé par certains comme suranné dans les années 1960, quelle est sa dimension et son utilisation dans l’art contemporain ? Ici, il n’est pas richesse numéraire. Les œuvres exposées sont certes des œuvres de prix, mais leur valeur à nos yeux de profane se déploie sur une palette à jamais réécrite parce qu’inscrite dans le patrimoine de l’Humanité.

Significations multiples…Vanités. Vanitas. L’or est un palimpseste… Il devient cette matière autre, au-delà de la matière brute, qui confère aux œuvres exposées dans cet écrin, qu’est le Belvédère une sacralité particulière. Alchimie d’une rencontre entre un lieu et des œuvres : le regard du visiteur ne peut rester de bronze. Pourtant, à aucun moment cette monochromie ne touche à l’indécence de l’étalage.

Les artistes contemporains ne se limitent pas à une simple utilisation de cette monochromie précieuse dans leur réalisation artistique, ni dans la forme, ni dans le style, ni dans le thème. Hymne à une beauté fascinante.
Richard Hamilton représente l’icône qu’est le Musée de Guggenheim en fibre de verre, cellulose dorées à la feuille et qu’il intitule The Gold Guggenheim (1965/1966), temple de l’art contemporain.

Jan Mararten Voskcul Gilded avec Frame (2002) intitulé cadre, réalisé en bois et feuille d’or, représente un cadre vide doré. Décroché puisque posé sur le sol, cadre « mou » rigidifié : l’essentiel n’est-il pas dans le cadre d’or qui indique la finitude d’un tableau et lui confère le statut d’œuvre d’art ?

Le « morceau » de bois sublimé par la couleur or Minium Picture de Imi Knoebels (1976/2010), image de minium, cet oxyde de plomb, poudre de couleur rouge utilisée dans l’enluminure de manuscrits, et qui dans un sens plus courant servait à protéger le fer de la rouille.

Un JE ICH doré sur fond noir nous renvoie à notre ipséité et peut être à nos rêves de gloire…à notre siècle du « je » égotisme stendhalien revisité. A moins que Norbert Fleischmann avec cette œuvre intitulée, Expand II (2008)ne se réfère à un essentiel d’existence : premier phonème de l’identité de couleur, unique, monochrome de lumière, dénonciation d’une société de consommation.

Primitivité. Nativité. Couleur adamique. Une pomme grignotée de Billy Apple (1962) intitulée Deux minutes trente trois secondes, représente un soi figé à un instant T…sculpture symbolique du péché originel d’Eve, qui fit basculer en quelques minutes, peut être en deux minutes et trente trois secondes la destinée de l’humanité en grignotant le fruit de la connaissance ?
Temps représenté dans sa fuite inexorable avec cette horloge D OR (Against the day) réalisée entre 1962/2012 où le temps s’égrène. Horloge solaire d’une pureté d’ombre mise en lumière. Solari Udine Flip Clock.

S’agirait-il pour James Lee Byars de parler de la mort dans cette œuvre, boule dorée, intitulée Sphère de bois , Wooden Sphère, comme il le fit à travers la mise en scène de sa propre mort dans une installation où son propre gisant, recouvert de feuilles d’or, laissait derrière lui cinq cristaux de lumière, trace d’existence d’avant la poussière et exposé au Musée d’Art Moderne de Paris en 2009 dans le cadre de l’exposition Deadline ? Matérialisation de la décomposition du corps ? Il concentre peut être ici son idéal d’éternité dans cette sphère de bois recouverte de feuille d’or (1991). Il mourrait cinq ans plus tard et se savait condamner.

Palimpseste dont l’éclat n’est jamais éphémère et offre une relecture de l’objet. Abstraction dans l’Orangery rassemble comme son nom l’indique des réalisations artistiques à partir de la seconde moitié du XXème siècle : Palimpseste bleu lorsqu’Yves Klein réalise une œuvre intitulée Valeur or (1960), monochrome or, dont l’or bleu resplendit aux côtés d’un Victor Vasarely, Taller (1965), doré.

Réalisme des œuvres rassemblées ici, telle la paire de menottes de Sylvie Fleury, Gucci Handcuffs (2001/02) intitulée « les menottes de Gucci ». L’artiste française dénonce-t-elle l’hégémonie des marques ? Imagine-t-elle un accessoire de luxe pour partie « fine » ? Invite-elle le spectateur à sortir de cette prison dorée de l’univers du luxe de notre monde global, victime de la bipolarisation des pouvoirs de l’argent ?

Divinité vénéré enfin dans cette dernière œuvre de Walter Schnabl (2011), Aopllo’s Shield, gigantesque disque d’or de 23 carats exposé sur le dernier mur de la salle de l’Orangerie et qui représente le bouclier du Dieu. Acmé de l’exposition.

G comme la gravité d’une matière que l’on dévoue au sacré
O couleur de l’aube, disque du soleil levant
L cette lumière particulière qui vient de l’intérieur
D dévotion au Veau d’or.