Grand Paris, un mois européen décevant.

Le Mois Européen de la Photographie du Grand Paris joue sur la pléthore de propositions, sans qu’une affirmation réelle de directions artistiques ne se manifeste. Il s’agit de labelliser des lieux consacrés à l’image, d’intégrer des institutions, de faire nombre plutôt que de faire sens. Quelques perles sont cependant à y découvrir. Mais il est important avant de les examiner de comprendre les raisons de notre déception face à cette édition.

Jean Luc Monterosso a toujours manifesté une volonté de témoigner de la diversité de la création image tant à la MEP que dans le Mois de la Photographie qui est devenu vraiment européen. En même temps ses engagements personnels ont toujours été visibles en filigrane. L’ensemble d’expositions actuelles sur les questions du corps et du genre réunissant ORLAN et Journiac en est le parfait témoignage.

S’il est un point commun positif à cette campagne électorale ignoble, c’est le rejet manifesté de différentes façons des personnels politiques depuis trop longtemps au pouvoir. La photographie n’a pas su en faire autant, François Hebel a montré à Arles qu’il n’avait pas de réelle pensée sur l’image, revenant aux responsabilités pour ce Mois du Grand Paris il a toujours beaucoup de relations, un réseau de pouvoirs, mais aucune de ses directions artistiques ne manifeste une avancée théorique sur l’image. La comparaison avec les partenaires européens en est la démonstration flagrante. En dehors des expositions qui sont le fait des vrais penseurs, galeristes ou critiques, sur les 98 propositions une dizaine seulement sont de vraies avancées riches d’enseignement sur les pouvoirs de l’image.

Dans ses déclarations à la presse en intégrant les lieux de la couronne Hebel redécouvre l’eau tiède. Oui avec beaucoup de difficultés et une réelle énergie un grand nombre de lieux se dévouent à l’image et à l’art contemporain, le réseau TRAM existe depuis plus de vingt ans et faut il lui rappeler que l’exposition Une autre photographie à Créteil en 1981 accueillait à l’initiative d’Alin Avila et de votre serviteur Denis Roche, Paul Armand Gette Alain Fleischer et la première exposition de Claude Lévêque parmi trente trente autres plasticiens.
Certains galeristes parmi les plus créatifs se plaignent aujourd’hui que le label ne ramène pas autant de public que les éditions précédentes. L’énorme catalogue ne constitue pas non plus un must, avec ses textes réduits à quelques lignes, quand encore une fois les partenaires européens travaillent leurs éditions comme des ouvrages de référence.

Des expositions monographiques de grande qualité sont cependant à découvrir. Pour les amateurs d’expressionnisme fantastique on peut préférer les troubles références de Joel Peter Witkin chez Baudouin Lebon dont les mixtes empruntent à l’histoire de l’art au dialogue en bestiaire de Roger Ballen et Hans Lemmen au Musée de la Chasse, d’un très haut niveau cependant. Pour leur répondre une petite monographie de très haute tenue nous invite grâce à l’initiative de la galerie Thaddaeus Ropac à explorer les premières créations sous forme d’objets photographiques de Robert Mapplethorpe encore sous l’influence de Warhol. Certains de ses collages annoncent sa venue à une pratique toujours aussi provocatrice mais plus classique de l’image du corps.

A la galerie Binôme Frédéric Delangle poursuit avec grand talent son aventure indienne. Ses peintures sur photographie ainsi qu’un imposant retable correspondent avec une sorte de jeux de société des figures les plus présentes aux carrefours des grandes métropoles. Jacqueline Salmon à l’invitation de Michele Chomette propose Temps variable, études d’après nature, un ensemble mixte photo et dessin, aussi cohérent que subtile sur la transcription du mouvement des vents et des marées. Pour les Docks Cité de la mode et du Design François Cheval nous invite à une relecture très convaincante de l’œuvre de Blumenfeld quand la mode a été réinventée par la couleur et les propositions plastiques les plus novatrices.

Au plan historique on peut rappeler l’importance de deux expositions prévues de longue date dans la programmation de deux institutions Eli Lotar au Jeu de Paume et Walker Evans au Centre Georges Pompidou.

Quant aux expositions collectives, les deux plus intéressantes affichent une certaine proximité thématique, celle d’une interrogation sur l’espace avec tout d’abord Space Oddity à la Maison des Arts de Créteil qui regroupe de jeunes artistes comme Cédric Delsaux , Vincent Fournier , Marina Gadonneix ou Nicolas Moulin. Lui répond la plus brillante proposition, celle de Françoise Paviot à l’Espace Topographie de l’Art intitulée Géométrie dans l’espace. Les liens avec la sculpture y sont habilement explorés, les pratiques diverses démultiplient des propositions mathématiques liées à une approche sensible. Plusieurs pièces rares de Man Ray établissent un socle historique. La géométrie s’applique même aux visages aves Yves Tremorin. Le travail d’installation de Vera Röhm constitue une vraie révélation. Les nouvelles technologies sont bien représentées grâce aux fragiles dessins assistés d’Aki Lumi. Une scénographie habile établit le dialogue entre toutes ces œuvres.

On peut enfin considérer l’ensemble de la Maison Européenne de la Photo comme l’affirmation d’une même recherche liant arts plastiques, performance, danse et questions de genre, même si plusieurs commissaires délégués sont responsables de chacune de ses singulières monographies. Martial Cherrier revisite le body building avec d’hilarants collages de ses autoportraits en lien à des publicités de salles de sport ainsi qu’à des œuvres de l’histoire de la gravure, du dessin et de la photographie. Gloria Friedmann occupe l’espace de la vitrine avec une pièce inédite de photos recolorisées des années soixante dix. L’australien Shaun Gladwell présente un ensemble photo et vidéo où il met en opposition skate boarders et oeuvres de l’art minimal. L’histoire du body art à la française est surtout mise en valeur à travers le dialogue de deux de ses stars incontestées ORLAN et Michel Journiac, dont les œuvres occupent chacune un étage. Nous reviendrons sur l’exposition Michel Journiac dans son rapprochement de celle du Transpalette de Bourges qui constitue un portrait complet de cet artiste si essentiel.

Si l’œuvre d’ORLAN est présentée dans les plus importants lieux des arts plastiques internationaux il n’était pas inutile de rappeler quelle place centrale a toujours occupé dans sa démarche la photographie. Outil de la performance avec la constitution du trousseau ou les mesurages d’institution elle a été à l’origine de la confection du corps de Sainte ORLAN dont on voit les prémisses avec la série moins connue des Corps Sculptures. Document du temps des opérations chirurgicales et de leur mise en scène elle prend la forme numérique avec la Chirurgie des Images de la plus récente période. Cet ensemble accueille aussi des pièces historiques de l’artiste qui ont été réactivées. Le programme Dance with me video complète cette expérimentation perfomative sur les rapports à l’identité et au genre.