Gromaire ou Le chant des terriens

Gromaire (1892-1971), on croit connaître : force, puissance, palette restreinte aux déclinaisons des ocres et des bruns parfois exhaussés de bleu. Sujets graves, réalistes : ouvriers, paysans, guerriers, petit peuple dans des compositions charpentées. Paris aux couleurs du Nord. On a de lui l’image d’un créateur engagé dans son temps : social, viril, humaniste…L’exposition qui lui est consacrée, organisée par la Mairie du XXème arrondissement et par le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris nuance cette imagerie. Elle peut être vue dans un nouveau lieu : le pavillon Carré de Baudouin, une ancienne « folie », maison de villégiature du XVIIIème magnifiquement remise en valeur et sise 121, rue de Ménilmontant, 75020 Paris, près de la rue Boyer, nouvelle rue branchée de Paris.
Il s’agit de la période 1921 – 1933. Gromaire disait en 1928 à propos du nu féminin qu’il était « un merveilleux afflux de forces élémentaires, à l’image de la création elle-même, une sorte de joie de jeunes membres qui s’étirent sortant du néant comme on sort du lit » Le mélange est en effet saisissant car les formes sont cernées de noir mais elles entourent et contiennent une chair à la sensualité robuste. L’influence du cubisme, parfois du pointillisme, mais surtout de Matisse. Les femmes y sont sculptures, art dont Gromaire était amateur sans jamais le pratiquer. On ne les imagine dans l’amour que chevauchant sauvagement les hommes.
Le premier étage (dans une salle à l’espace et à la dramaturgie superbes) montre des scènes stylisées. Mais ce qui aurait pu donner lieu à de lourdes schématisations, comme chez Léger auquel on l’a souvent comparé, est l’œuvre subtile d’un coloriste qui use avec parcimonie et justesse des touches bleues, rouges, vertes dans des compositions ocres à l’architecture très travaillée (après parfois plusieurs centaines de dessins préparatoires).
Ce qui se dégage alors est la charge poétique des ses toiles : la véritable poésie n’est pas faite de mots désinsérés, elle tente de rendre compte, à travers les sens, des choses même. Ici, le charnel des êtres qui peuplent l’univers de Gromaire en plan d’ensemble et en gros plans (il était critique cinématographique dans Le Crapouillot) entre en profonde relation avec le cadre : paysage le plus souvent urbain populaire ou bien résumé à quelques lignes suggestives. L’être humain n’y est pas seulement montré dans son essence, c’est son être-au-monde qui nous est donné dans son apparaître, à chacune de nos rencontres avec ses toiles. Cela est évident dans ses compositions urbaines d’un Paris ou sa banlieue dont il connaît tous les types. Cela est plus subtil dans ces corps solitaires qui s’imposent à nous de tout le poids de leur existence, dans le labeur mais aussi dans la gaieté des détentes dominicales.
Son dessein est de « réduire à l’essentiel pour en restituer toute la grandeur » Humaniste, sans doute comme le souligne un peu trop le titre de l’exposition, comme si son militantisme pour les droits de l’homme était le plus important. Humain avant tout dans toute sa densité.