Hamburger Bahnhof Berlin, continuités et ruptures

Dans les locaux de l’ancienne gare centrale le Hamburger Bahnhof, musée d’art contemporain de Berlin offre une partie historique illustrant les grands courants qui à partir des années 1960 et 70 permettent de mieux comprendre et apprécier les tendances actuelles illustrées grâce à des expositions temporaires. En ce printemps 2019 trois ensembles d’oeuvres, deux issus de collections et le dernier d’une initiative collective retiennent notre attention.

Une sélection d’oeuvres de la collection Friedrich Christian Flick reste présente sous le titre « Local Histories » qui fait référence à différentes situations de New York à Dusseldorf et Cologne jusqu’à Los Angeles. C’est l’occasion de retrouver des oeuvres d’artistes essentiels de ces décennies, ainsi sont mis en perspective des créations de Sigmar Polke, Bruce Nauman ou Jenny Holzer. C’est l’occasion aussi de voir plusieurs pièces historiques de Robert Smithson ou les photos subjectives trop mal connues en France de l’excellent Tim Rautert dont l’oeuvre a été quelque peu éclipsée par les tenants de l’école de Dusseldorf.

Dans ces accrochages thématiques clairement identifiés l’un des dialogues les plus féconds s’établit entre l’installation de peintures murales et de châssis retournés de Richard Jackson et la sculpture de Jason Rhoades en irrespectueux hommage à la « Fucking Picabia Car with Ejection Seat ». Un autre rapprochement scénographique confronte une immense toile photographique de Wolfgang Tillmans à une puissante double structure de miroirs d’Isa Genzken importante sculptrice trop peu montrée en France.

L’autre exposition historique est consacrée à la sculpture monumentale sous le titre ironique « The Elephant in he Room » avec une majorité d’oeuvres importantes de Joseph Beuys en dialogue avec celles d’Absalon, Donald Judd ou Rachel Witheread qui tiennent la comparaison. En revanche il est étonnant de constater l’aspect superficiel et pour tout dire daté de l’aspirateur « New Shop-Bac Wet/Dry (1980) de Jeff Koons face à la puissance expressionniste des installations de Beuys, à leur force esthétique autant qu’à leur visée politique. Des titres comme « La fin du XXe siècle », ou « Monument to the Future » nous en rappellent les intentions et encore plus le visionnaire « Directional Forces of a New Society.

Dans une même volonté d’engagement politique et esthétique l’exposition la plus innovante est due à la collaboration de plusieurs artistes qui se font commissaires. Le projet est né d’une conversation entre le sénégalais Issa Samb, peintre, sculpteur performer et poète et Antje Majewski plasticien berlinois. Son titre « Comment parler avec les oiseaux, les arbres, les poissons, les coquillages, les serpents, les taureaux et les lions » souhaite envisager différents lieux altérés ou détruits par l’homme et ainsi renouer un dialogue avec les éléments naturels. D’autres artistes de différentes nationalités appartenant tous à la génération née dans les années 1970 ont poursuivi ces échanges inter-culturels.

Dans le domaine de l’image on peut apprécier les photos et vidéos du brésilien Paulo Nazareth qui continue de s’intéresser à l’exploitation de petits groupes indigènes se poursuivant bien après le colonialisme. Le berlinois d’origine française Olivier Guesselé-Garai produit principalement en noir et blanc des images de petit format d’une grande force expressive sur les contradictions entre culture et nature.

En dehors de la conception globale du projet Antje Majewski, né en 1968, montre trois toiles qui évoque dans le soin de la maison le passage d’éléments naturels balai de bambou vietnamien jusqu’aux mêmes outils domestiques en plastiques. Il produit aussi avec Pawel Freisler et Piotr Zycienskt un poster « How to Cure an Apple » une expérience vécue dans le jardin de l’artiste où un oiseau avait mangé tout l’intérieur d’une pomme et laissé la peau traitée chimiquement.

Beaucoup de femmes artistes sont présentes avec des installations pluridisciplinaires d’une grande force scénographique. La polonaise Agniewska Brzezanska (née en 1972) produit aussi bien des cultures sonores que de grands ensembles à base de tissu et de bois, dont ce radeau de grande taille qu’elle a fait naviguer sur la Vistule.L’anglaise Carolina Caycedo ( née en 1978) évoque les transitions énergétiques avec un ensemble composé d’un dessin mural, d’un filet de pêche très sculpturalement retravaillé, d’un leporelo et d’une double vidéo sur les parcours de l’eau.

La salle consacrée à Issa Samb, aussi connu comme Joe Ouakam, manifeste sa très grande énergie que l’on peut voir à l’oeuvre aussi bien dans le vidéo-entretien La coquille (2010) menée par le co-commissaire sur son lieu de travail à Dakar où il est né en 1945 que dans ses productions peintes. Figures et couleurs y révèlent le même puissant dynamisme, celui de la vie.