Hervé Di Rosa dans les Hauts de France

L’exposition Autour du Monde à La Piscine à Roubaix se présente d’abord comme un récapitulatif exhaustif des productions métissées, que Hervé Di Rosa avait initiées il y a bientôt vingt ans, et qu’il poursuit avec de nouveaux projets. Cette œuvre multiforme – car on peut parler d’une œuvre unique en cours, avec tous ses développements – est d’abord un hommage à la grande diversité des savoir faire que le peintre, lassé de se cantonner aux techniques acquises qu’il maîtrisait dans la solitude de son atelier, a voulu rencontrer au cours de nombreux voyages d’études : pas moins de 19 pays visités jusqu’à présent !

L’ œuvre au monde de Di Rosa

Toutes ses productions sont bien différentes par l’inspiration et leur processus créatif et elles résultent d’incessantes allées et venues entre ici et ailleurs, d’explorations à plus ou moins long terme, de mise en pratique de techniques d’une grande diversité – en ce moment, les azulejos au Portugal (l’artiste vit actuellement à Lisbonne). Il s’en sert pour produire de grands aplats colorés bien différents par leur thématique des azulejos traditionnels. Car l’artiste ne s’inspire pas des traditions qu’il utilise (la peinture d’icônes en Bulgarie, les panneaux de laques incrustés de nacre ou de coquille d’oeufs au Viet Nam, les peintures d’affiche au Ghana…) il les bouscule, les réinvente et les magnifie sans jamais les récupérer à son profit. Globetrotter, vagabond, pèlerin, nomade, amoureux, Hervé Di Rosa voyage non pas comme un touriste mais comme ces compagnons du devoir qui parcourent le monde pour apprendre et partager leur métier et leur art, curieux et attentifs aux autres. Hervé Di Rosa n’oppose pas l’artiste à l’artisan, il entremêle le savoir-faire de chacun en une œuvre riche de sens. Dans cet œuvre au monde, rien d’exotique ou de post-colonial, mais une quête de l’altérité d’images et de savoir-faire populaires avec une attention particulière à repousser la mondialisation qui homogénéise des cultures avec le désir de faire toujours ressortir une pluralité culturelle.

De Sofia à Kumasi, de Porto-Novo à Patrimonio, de La Havane à Séville, de Tel Aviv à Miami, de Durban à Mexico, de Binh-Duong au Viêt Nam à Tunis, de Paris Nord à Little Haïti, de Foumban à La Réunion, d’Addis-Abeba à Lisbonne, avec des matérieux divers : de la toile, de la peinture, des câbles de téléphone, de la laque, des sequins, des broderies, des pierres, du bronze, de l’or, de la terre, du bois, des coquillages, de la céramique, de l’argent, des peaux tannées, du verre, du papier, de l’aquarelle, des perles… et avec l’aide des meilleurs artisans locaux, Hervé Di Rosa poursuit son œuvre. Roubaix a présenté pour la première fois au public les dernières œuvres céramiques d’Hervé Di Rosa, réalisées lors de la 19e étape du tour du monde créatif de l’artiste, auprès des artisans de l’entreprise Viúva Lamego, l’une des fabriques historiques d’azulejos.
Le parcours de l’exposition de Roubaix, séduisante par sa scénographie ouverte et colorée, met en valeur des productions de grand format. On y découvre une œuvre -monde ambitieuse et prolifique. Cependant, malgré la diversité des techniques adoptées et adaptées, ce qui frappe, c’est la patte de l’artiste : l’unité d’un style.

Une rétrospective éclairante

Au Touquet-Paris Plage, on peut découvrir comment un tel style s’acquiert progressivement. L’exposition démarre avec des travaux de jeunesse, des dessins proches de la bande dessinée dont Hervé Di Rosa est toujours un grand amateur. “ Ne t’en fait pas, tout ira bien” écrivait-il dans un dessin en 1978, un vrai programme de vie qu’il s’est efforcé de remplir par son énergie créative qui explose dans les années 80 lorssque l’œuvre de Hervé Di Rosa est désignée par la formule “ figuration libre”. Liberté qui intègre progressivement ses nombreux voyages, qui sont là aussi présentés parmi les œuvres plus personnelles ou du moins réalisées en solitaire. Cette rétrospective permet ainsi de voir des dessins anciens et rarement montrés.

De plus, le musée du Touquet qui est installé dans une belle demeure du début du siècle ne dispose pas de salles pour pouvoir accrocher de grands formats – à part dans son annexe. Mais cela permet, par le choix qui privilégie des peintures de dimension plus modeste, de découvrir le travail de l’artiste grâce à une plus grande proximité avec ses tableaux. On peut porter sur eux le regard intime des collectionneurs qui ont prêté leurs œuvres . Contrairement aux grands tableaux de Di Rosa représentant des foules trépidantes, les situations se concentrent sur un ou deux personnages emblématiques de son univers. Le catalogue fournit des indications sur la construction de l’univers de Di Rosa, de ses figures volontiers grotesques, et permet de voir sa boulimie d’images, avec une précision du dessin et un goût pour les couleurs vives et acides.

On découvre que ce qui anime souvent le travail de Hervé Di Rosa, c’est une ironie, un second degré (comme la référence-clin d’oeil à la vague d’Hokusai dans La Vague de 1990) ou un humour décapant (comme dans la Nature morte perfide de 1987 qui prend la formule au mot en comportant de vrais oiseaux morts). Et dans cette villégiature du bord de mer, les tableaux qui montrent un monde sous-marin comme Grand Jardin sous-marin (2013) ou René sous l’eau ( 2011) et surtout Global sous-marine grotesque ( 2010) résonnent particulièrement avec la proximité du rivage.

Il y a toujours dans le monde proliférant de Di Rosa un humour teinté d’angoisse : “Généralement je pense que ma peinture fait rire. Parfois j’en doute. En réalité, je crois que je suis toujours sur le fil du couteau entre l’humour et l’angoisse”. Disons qu’il s’agit d’un humour, d’une bouffonerie et d’un sens du grotesque qui est une défense contre une angoisse toujours rampante dont il cherche à s’évader.

Enfin, LABANQUE à Béthune expose début mars le travail de Hervé Di Rosa sous le titre Les Trésors d’Hervé Di Rosa.
Avec ces trois expositions, ce méridional originaire de Sète s’acclimate dans le Nord où son sens du grotesque répond bien à l’esprit de carnaval et à l’humour décapant propre à la région.