Hommage à Bruno Maisons Galerie Satellite

Très cher et regretté Bruno,

En nous rendant depuis des années rue François de Neufchâteau dans le XIe arrondissement, nous avions l’habitude de trouver dans ta galerie des surprises. Des surprises de toutes natures par les expositions que tu y organises depuis 1992. De bonnes surprises, bien sûr !
Mais, aujourd’hui, c’est une bien mauvaise surprise que tu nous fais en s’arrêtant ainsi trop tôt, en pleine campagne ! Quelle bien mauvaise idée !
Nous sommes ici réunis pour te rendre un ultime hommage, hommage non seulement à l’ami que tu étais, mais aussi à l’ami des artistes à travers ton action de galeriste pour l’art avec le projet Satellite.

Nommer ta galerie « Satellite » ne manqua pas d’air ! Cette audace du nom est presqu’un manifeste pour désigner délibérément un lieu périphérique, en quelque sorte satellitaire ! Une plateforme mise en orbite il y a 24 ans. Mais autour de quoi et de quels centres tourne ton satellite ?
Tout compte fait, dans cette rotation « immobile », tu as entraîné dans sa trajectoire un grand nombre d’artistes issus de galaxies des plus diverses.
Tu as ainsi animé un lieu atypique, petit en mètres carrés, excentré, mais quand même bien placé en face du gymnase Japy ! Un centre comme un autre …
Certes, un tout petit lieu, mais vite repéré et approprié par nombre d’artistes que tu as toujours accueilli avec beaucoup de générosité et de tolérance.
Tu as présenté des artistes connus, comme inconnus, des photographes, des poètes, des musiciens, des performeurs… tous différents, mais tous d’accord pour se rencontrer, se compléter, se positionner autour des mots, des images, des photomontages, des objets, ou des gestes… mais aussi autour de la dérision, du décalage, de la parodie ou même de la coquinerie …
Un lieu libre ! Un lieu aux multiples visages…
Un lieu rare dans Paris,
Un lieu éloigné des modes et du marché.
Satellite est devenue avec le temps, un vrai lieu de croisement, de rencontres et d’échanges amicaux entres les uns et les autres…Nombreux sont ceux qui s’y sont donnés rendez-vous… sous ton regard complice, au dessus de tes lunettes. Ce climat de confiance que tu as toujours instauré à favoriser la bonne humeur, le plaisir d’exposer, de participer à des expositions collectives, de boire de coup… Et tes expositions collectives, c’étaient une sorte de marque de fabrique de la galerie Satellite. Tu en as au moins organisées une vingtaine. Je t’ai toujours dit que c’était une excellente initiative ; le PSS, « le petit salon Satellite » comme je qualifiai en blaguant ces regroupements thématiques avec 30, 40, 50…exposants à bord du Satellite. Cela te faisais sourire.

Dans la série des choses surprenantes, nous avons rue François de Neufchâteau la « section japonaise ». Autre petit lieu insolite, satellite de Satellite, satellite du Japon avec une succession de sympathiques japonais que Marie nous présente à chaque occasion. Tous ravis de leur présence parisienne, souriants, malgré la barrière de la langue. Quelques fois, le buffet y était amélioré avec des spécialités nippones. Contraste avec ton traditionnel et néanmoins très apprécié cubi de vin rouge, accessible avec un gobelet en plastic blanc dans la petite cour du fond.
Et puis, il y eut durant plusieurs années, les expositions Satellite au Japon, pas à Tokyo, mais en très grande périphérie, loin, très loin dans les îles méridionales. Périphérie des périphéries avec pour centre, la rue François de Neufchâteau. De l’avis de tous les participants à ces voyages, ce fut de belles aventures…

Moins exotique, encore que ! L’aventure était au rendez-vous de chacune des expositions que tu organisais tout au long de l’année. Tu as permis à beaucoup d’artistes d’exposer. Tes critères étaient très larges, non stratégiques et encore moins opportunistes. Coups de cœur. Hasards des rencontres. Spontanéité.
C’est vrai que la presse spécialisée ne s’est pas vraiment déplacée et encore moins les collectionneurs ou tout simplement des acheteurs. Tes ventes, même réelles, furent malgré tout modestes, mais tu as démontré qu’il y avait de la place pour le plaisir d’exposer l’art et de recevoir les artistes. D’instaurer un dialogue certes en demie teinte, car tu n’étais pas très bavard, mais un sincère dialogue dans la durée et avec tes silences qui étaient malgré tout bien présents.
Un dialogue sans arrière pensée. Un dialogue direct pour permettre d’exposer dans un endroit sympa. Personnellement, j’y ai exposé 23 fois en plus de vingt ans. Dont 4 lors d’expositions personnelles. Ce que je garde comme souvenir le plus fort, furent les participations aux « PSS » tant dans la réalisation de pièces spécifiques en regard du thème que tu donnais, que dans la confrontation entre exposants.
Et ces rencontres, ce n’étaient pas rien !
Ce n’était vraiment pas « riquiqui » comme l’avais dit en rigolant Joël Hubaut en 1994 en te proposant alors une exposition collective tout naturellement dénommée « Riquiqui ». Cette exposition du printemps inaugura ainsi cette longue série d’expositions à thème ouvertes à beaucoup. Une sorte de cadeau que d’offrir aux artistes une possibilité d’exposer ! Cadeau sera alors le thème de la seconde exposition collective à Noël 1994.
Il faudra attendre le Noël 1996 pour revoir une nouvelle exposition fédératrice que tu avais nommée Happy end. Aujourd’hui, ce titre sonne tristement, retenons alors seulement le qualificatif « happy ».

Sur une suggestion de Daniel Daligand, soucieux d’élever le niveau philosophique des événements, convoqua en 1997 le marquis de Sade et Emmanuel Kant pour une étonnante combinaison Sadekant/ Çadécante. Du beau monde à l’affiche de ta maison. Et reprenant la balle au bond, avec humour, tu donnes comme exercice pour une nouvelle exposition le thème de la maison. Je garde un excellent souvenir de cette exposition collective de 1998 Maison, où j’avais créé une antenne spéciale de mon agence immobilière fictive, Snyersimmo, l’immobilier radieux pour le XIe arrondissement. Les artistes avaient bien joué le jeu que tu avais proposé. Il y eut quantité de maisons chez Maison.
Des maisons de Maison à la rue, il n’y eut qu’un pas que tu as franchi en 1999 avec l’exposition hommage à François de Neufchâteau. Tous les habitués de la galerie surent tout sur François Nicolas, l’écrivain, député de la Convention en 1791.

Toi le joueur de cartes en ligne, tu t’intéresses aux nombres. Pour l’exposition de l’année 2000, au lieu de t’intéresser à ce millenium, tu bottes en touche et nous invite autour du Chiffre 21. Ceci fut tout à fait représentatif de ton caractère, une pointe d’humour prolongée par une petite dose d’espièglerie.
L’humour n’étant pas incompatible avec le sérieux, et même le très sérieux. Ainsi, tu inities en 2002 comme thème de travail, Les cartes professionnelles. Nous nous sommes tous reconnus comme très professionnels !
De ce type de cartes à la carte géographique, le lien est vite fait et cela se traduit par l’invitation au voyage dans les périphéries de nos imaginaires. L’exposition Terres inconnues de 2003 a transformé la galerie en un territoire d’utopies, nous perdant dans les méandres de nos fictions.
En bon capitaine, tu te devais de nous ramener à bon port. Pour cela, tu proposes en 2006, une exposition consacrée aux Phares. Un signal pour recentrer nos errements. Avec une étonnante cohérence, l’année suivante, l’exposition, l’Art portable, nous renvoit dans le nomadisme de nos créations. Un paradoxe de ta part, toi, le sédentaire qui faisait corps avec ton bureau. De celui-ci, inamovible, tu suis les choses et nous rappelle en 2007 que la galerie a 15 ans. Le Satellite est sur orbite depuis 1992. Cela se célèbre. Cela se fait à travers l’exposition collective de l’année qui eut pour titre Et plus si affinités.. . Du plus, il y en a toujours eu. Et des affinités, chacun peut aujourd’hui, avec le recul en témoigner. Ce titre, difficile à traiter plastiquement, fut néanmoins très juste.

Avec un sourire en coin, tu aimais mettre en résonance des situations parfois contraires. Voire paradoxales. Tu aimais ce mot. Cela te donnera le thème de l’exposition de 2008 : Paradoxe. Pour la circonstance, j’avais réécrit le Chant du départ (à Doxe) que nous avions tenté de chanter tout les deux. Ce fut catastrophique et tu confirmas que, comme moi, tu chantais totalement faux !
Qu’importe d’être juste ! Juste par rapport à quoi ? Prônons ensemble l’importance du paradoxe, de l’audace et de la liberté. De L’audace, tu en auras pour nous lancer sur les traces de la Tour de Babel en 2009. Projet ambitieux qui donna à voir dans ta galerie de nombreuses et nouvelles versions de la mythique ziggourat mésopotamienne.
Ton audace fut aussi de nous inviter à aller encore plus loin, vers le cosmos avec l’exposition de 2011 ayant pour titre Interplanétaire. Quel voyage au programme ! Le Satellite était vraiment bien en orbite. D’ailleurs, ce fut pour moi l’occasion d’ouvrir une nouvelle antenne de mon agence immobilière dans l’espace. Tu m’as même vendu un terrain sur Mars !

Bien sûr, tout cela n’est que fiction. Avec clairvoyance, l’exposition de 2012 aura pour thème Fiction. Combien de fictions, as tu exposées ? Combien d’inventions visuelles, tu nous permis ? Combien de voyages furent possibles rue François de Neufchâteau, voyages avec les mots, les signes, les images ?
Les fictions nous ont conduits tout naturellement aux rêves. Exposition peut être un peu trop facile ? Même si ta proposition était les Rêves apprivoisés ! Où allais-tu chercher tout cela ?
Je t’entends encore répondre « phénoménal » en appuyant sur chaque syllabe. Prononcer ce mot était non seulement une réponse, certes déroutante, mais surtout le sujet de l’exposition de 2014. Phénoménal : un vrai programme frisant l’absurde. Là, tu t’es un peu dévoilé ! Farceur ? Pourquoi pas ?

La réponse sera dans l’exposition de 2015 : Tour et détours. Encore un itinéraire sinueux, avec ses nouvelles surprises et contre-pieds. La galerie Satellite, plateforme de croisements et de télescopages vaut bien le détour !
Des rencontres pour se jouer du sens, des signes et des attitudes. Un jeu de mots, un jeu d’écriture pour un rendez-vous permanent.
Ces croisements provoqués, tu les as sous entendus avec ta dernière exposition collective de ce printemps 2016 dont le titre était Paroles peintes. Un titre qui définit bien le projet Satellite mis en orbite en 1992. Une belle trajectoire de 24 années d’art et d’artistes, trajectoire qui vient, hélas, de disparaître dans les étoiles que tu nous avais signalées.
Les paroles peintes que tu viens de présenter ne sont plus, et tes paroles se sont éteintes.

Merci Bruno et adieu.