La peinture, cela n’existe pas. Il n’y a que des peintres. Hubert Rivey n’a cessé de me conforter dans cette idée depuis notre première rencontre, il y a maintenant trois ans.L’homme est affable. Derrière une grosse moustache à la Kipling, Rivey s’exprime sans emphase. C’est du côté du groupe Supports / Surfaces que la genèse de son œuvre est à chercher. En finir avec les conventions de la peinture de chevalet, montrer la réalité de la toile sans cadre a été l’une des grandes préoccupations de Rivey au même titre que celles de Claude Viallat et Louis Cane. Le Tachisme,non plus, ne fut étranger à cet artiste qui, dans le contexte des années soixante-huit, découvrit le maoïsme et au-delà, la Chine et tout un contexte de civilisation cultivant la maîtrise absolue des arts du pinceau. Nous y sommes. Ou plutôt nous nous (re)trouvons Rivey et moi sur un terrain où les Chinois ont déjà tout dit. Esquisse, amorce, aura de la ligne courbe, incise, indétermination, alternance entre vide et plein, le blanc indiciel de la toile, ce fonds indifférencié des choses cher au maître Shi Tao qui entre en résonance avec les plus géniales des intuitions d’un Mallarmé… Nous savons tout cela. D’un air entendu, nous pourrions nous saluer et ainsi clore cette familière rencontre ; Rivey retournant à ses aérosols pour une mise en distanciation et une répétition inlassable de son geste en rapport avec la toile, tandis que moi je reviendrais à mon clavier et mes chères lectures. Mais, il y a un mais… Peu de temps après mon retour des corridas de Nîmes où je vis l’admirable torero Juan José Padilla que Georges Bataille eut aimé pour son sens inouï du tragique, je me rends à ma librairie favorite, Les Cahiers de Colette, et je feuillette le dernier ouvrage de Georges Didi-Huberman : Le danseur des solitudes. Le savant met le doigt sur un concept esthétique espagnol commun au baile jondo et à la corrida : le temple. Le dernier chapitre de son passionnant ouvrage est consacré à cette notion : « Bouquets de paradoxes, disjonctions et jointures. Le ‘ temple’, concept musical du combat et comble de l’art… Dense comme la sculpture et fluide comme une mélodie. Une rythmique des profondeurs. Paradoxes de temps : le péril sans se hâter, le sens de la durée, la lenteur fugace. Paradoxe de mouvements : ‘dar espacio’… Le temps prend sens dans le rythme. Prend-on le rythme pour être ensemble ? Rythmes à l’unisson et rythmes par insurrection. Rilke et la mélodie des choses : la solitude communautaire. Le désir fait geste, séparation, excès. La mort elle-même fait acte de ‘temple’. Décomposer-recomposer. Le montage et son ‘Urphänomen’ : Dionysos quand il danse et quand il se disloque » [1]. Lumineuse autant qu’audacieuse est la démarche de Didi-Huberman en ce qu’elle me permet de comprendre, à travers l’œuvre de Rivey, et non par le détour obligé de l’Extrême-Orient et de ses cultures du geste (d’imprégnation zen ou autre), qu’un savoir de l’inconscient sans cesse mis en dialogue avec un savoir de l’instinct peut tracer une figure de l’acte créateur, en toutes circonstances. Exorcisme ? « Un jour, on saura peut-être qu’il n’y avait pas d’art, mais seulement de la médecine » [2].